S’il est une évidence que le développement copié de l’Occident n’a pas jusqu’ici permis un réel développement des pays d’Afrique, les collectivités territoriales du continent misent désormais sur les villes intermédiaires pour promouvoir le développement inclusif. Comment s’y prendre ? Quels sont les avantages de cette nouvelle vision défendue par l’organisation Cités et Gouvernement Locaux Unis d’Afrique (CGLU-Afrique) ? A ces questions, le spécialiste de l’administration territoriale, Gervais Coulibaly, ancien Directeur général de la décentralisation (Côte-d’Ivoire), a apporté des éléments de réponse en marge du sommet Africités 9 au cours duquel il a animé un panel sur la décentralisation.
L’économiste du Bénin : Monsieur Coulibaly, dans le cadre du sommet Africités 9, vous avez animé un panel axé sur la planification des villes intermédiaires. Quelles sont vos impressions ?
Gervais Coulibaly :
Je pense que nos villes intermédiaires sont une solution pour nos pays, parce que continuer à développer les mégalopoles, on continue aussi à développer les tares que nos mégalopoles ont eu dès le départ. Parce qu’elles sont nées sans planification, elles ont évolué et maintenant, on est obligé de rattraper. Il vaut mieux, pendant qu’il est encore temps, d’essayer de gérer au mieux les villes intermédiaires qui sont une solution pour le développement de nos pays. Nos populations sont essentiellement en campagne, les villes intermédiaires se rapprochent d’elles et les villes intermédiaires sont à leur portée pour réussir à maîtriser leur niveau de vie et à leur apporter aussi le développement là où elles sont. Elles restent dans leurs activités, elles ont les meilleures conditions de vie, elles ont accès au service les plus performants, et elles sont heureuses. Je crois que c’est de ça qu’il s’agit. Si nous travaillons pour le bonheur de nos populations, travaillons à développer au mieux, nos cités territoriales.
La plupart des collectivités territoriales manquent à n’en point douter, d’une réelle politique de planification quant aux villes intermédiaires. Quel conseil avez-vous à partager avec les maires africains ?
Avant même de planifier les actions à mettre en œuvre, il est bon de savoir qu’est-ce qu’on veut faire de sa ville ? Et pour savoir qu’est-ce qu’on veut faire de sa ville, il est bon d’élaborer un Schéma Directeur d’Urbanisme qui nous dit comment est-ce que notre ville va grandir. Donc il est bon que nos villes puissent être pensées ainsi. Comment on va se développer ? Comment nous allons faire pour avoir un développement en même temps urbain et durable. Parce que nos cités doivent pouvoir se développer en tenant compte de nos besoins. Parce que l’Africain a tendance à consommer trop ce qui vient de l’extérieur en rejetant ce qui est de chez lui. En son temps, nos maisons, les cours étaient construites de telle sorte que chacun vivant dans son secteur, on gardait un lieu de convivialité pour tout le monde. Ce qui fait que dans une maison, personne ne pouvait mourir de faim, parce que quand il n’y a pas à manger, les enfants vont dans la maison d’à côté. Pourquoi nous ne pouvons pas réussir à remettre ça en jeu, mais de manière moderne ? Or, au lieu de caler nos concessions, on peut les construire un peu en hauteur en gardant des espaces réduits. On pourrait y mettre beaucoup de familles sans être obligé de mettre des ascenseurs parce que c’est ça qui va nous créer des problèmes, on n’a pas d’argent pour mettre des ascenseurs. Faire deux étages trois étages, ça suffit. On peut même les faire en grand U comme le faisait autrefois nos parents avec une porte d’entrée et au milieu les enfants ont leur aire de jeu. Pourquoi nos architectes ne pourraient pas concevoir ça ? Ça nous éviterait d’avoir des villes trop larges, trop étendues, trop étalées où on est obligé de mettre des services qui ne vont servir qu’à très peu de personnes. Or si nous regroupons un peu de gens, et nous mettons des services : les hôpitaux, les écoles, etc. pour les utiliser on dépensera moins. Au lieu de construire 10 écoles, on en construira peut-être 02, mais deux (02) d’un niveau supérieur. Voilà comment je réfléchis. Et on peut l’étendre à d’autres aspects de nos Etats.
Selon vous, quels sont les moyens dont disposent aujourd’hui les collectivités territoriales pour financer leur politique ?
Je pense qu’il faudrait que d’abord, l’Etat donne aux collectivités locales ce qui leur revient. Parce qu’il ne s’agit pas de leur donner des compétences et de garder les ressources. Ça, c’est la première chose. C’est valable pour tous les pays. Deuxième chose, il faut que nos élus locaux travaillent avec leur imagination. Il ne faut pas attendre les subventions de l’Etat. Pourquoi ils n’utilisent pas le privé ? Redonnons à l’agriculture sa fonction première et à partir de l’agriculture, on va arriver à l’agro-industrie, à l’agro-pastoral, etc. Je pourrais développer ça pendant des jours et des jours. Nos élus locaux devraient songer à créer la richesse pour leurs populations. Et à partir de ce moment, on pourrait taxer la population qui paie ses impôts, qui paie ses redevances pour créer davantage de richesses.
Quel autre message avez-vous à l’endroit des élus locaux d’Afrique ?
C’est de leur dire : développons-nous, mais développons-nous en conservant nos richesses. Nos richesses, c’est dire comment l’Africain est un être humain qui aime vivre en communauté, un être communautaire ; essayons de voir comment on peut adapter cet esprit communautariste à notre vie d’ici, parce qu’on nous a imposé une démocratie qui n’est pas la nôtre ; on nous dépose un développement qui n’est pas le nôtre, et on nous demande de suivre. On n’y arrivera pas. Et quand on commence à y arriver, c’est avec des coquilles qu’il y a dans leur développement qui n’est pas le nôtre. Alors revenons, prenons ce qu’il y avait de bon chez nous, améliorons-le, ajoutons-y le modernisme et puis développons-nous.
Réalisation : Léonard DOSSOU