L’agriculture vivrière, longtemps chantée comme une des perspectives du développement de l’Afrique risque d’emballer les pays à l’ouest du continent dans une crise économique sans précédent, si les dirigeants n’y prennent garde. Car la guerre des intérêts s’annonce.
Nafiou OGOUCHOLA
Les pays d’Afrique de l’ouest seront bientôt amenés à s’affronter les uns les autres pour affirmer leur domination sur le marché économique sous régional. En effet, plusieurs pays ouest-africains se sont lancés dans la promotion à grande échelle de productions vivrières. Tout d’abord, le Nigéria, après avoir atteint le double du besoin de sa population en consommation de riz en 2019, ambitionne de nourrir toute l’Afrique de l’ouest à l’horizon 2021. Près d’un milliard de dollars avait été investi par le gouvernement dans l’agriculture ; la Banque centrale a mis en place un fonds de 26 milliards de dollars au profit de l’agro-industrie; l’obtention d’investissements directs étrangers dans l’agriculture pour environ 250 milliards de dollars et l’opérateur économique numéro 1 d’Afrique, Aliko Dangote, qui vise investir 4,6 milliards de dollars dans l’agriculture. Mais très tôt, le Nigéria s’est vu confronter au problème de la réexportation du riz oriental sur son territoire. Après les invectives de Aliko Dangote envers les autorités béninoises, le gouvernement fédéral du Nigéria a prétexté un exercice militaire pour freiner les échanges commerciaux avec ses voisins depuis le 20 août 2019. Et curieusement, le Niger et le Burkina-Faso se sont dépêchés d’interdire la réexportation du riz à Niamey et de l’huile à Ouagadougou. Or ces deux denrées sont des denrées de grande consommation produites localement. Il en ressort que le géant de l’Afrique de l’ouest a une volonté manifeste de ne pas partager son marché en même temps qu’il désire prendre le contrôle du marché ouest-africain. Ne rien lâcher chez soi et tout prendre chez l’autre, autrement dit. Mais cela serait chose facile si les autres nations de l’Afrique de l’ouest n’avaient elles-aussi cédé à la fièvre de l’agriculture vivrière.
Ensuite, la Côte d’ivoire, premier producteur de caco s’est aussi lancée dans la production vivrière. Elle est classée, depuis plus de deux ans, comme première puissance agricole ouest-africaine. Elle connaît une augmentation régulière des productions avec un taux moyen de croissance annuelle de 11,5% pour les cultures vivrières, faisant passer la production globale de vivriers de 12 millions de tonnes en 2011 à 18 millions de tonnes en 2017, soit une augmentation de 51% sur sept ans. Lors de la cérémonie de passation des charges entre le nouveau ministre de l’Agriculture, Adjoumani et son prédécesseur, Mamadou Sangafowa, les chantiers à exécuter ont été cités. Ils renseignent sur la volonté des ivoiriens de jouer les premiers rôles dans l’alimentation de l’Afrique de l’ouest. On a pu noter : le suivi de la mise en œuvre du Programme national d’investissement agricole, 2ème génération (PNIA2, 2018-2025) et la mise en œuvre du projet structurant des agropoles qui couvre tout le pays; de la Bourse des matières premières agricoles dont l’ouverture est prévue en avril 2020; du projet de mécanisation accélérée de l’agriculture dont le lancement est prévu au prochain Salon international de l’agriculture et des ressources animales (Sara 2019), du 22 novembre au 1er décembre 2019, avec la mise à disposition des filières de tracteurs. Ainsi, la Côte d’ivoire ambitionne-t-elle d’atteindre l’autosuffisance alimentaire dans quelques années. Une fois ce cap franchi, elle prendra l’envol pour la conquête de ses voisins. Ce qui ne serait pas un problème si plusieurs autres pays de la sous région ne travaillaient pas à atteindre l’autosuffisance alimentaire.
Enfin, presque tous les pays d’Afrique de l’ouest consentent des investissements colossaux dans l’agriculture vivrière. Le Togo a défini une politique agricole assez ambitieuse qui vise à faire décoller le secteur et faire de lui un des piliers de son économie. Sous l’impulsion du président Gnassingbé, le gouvernement togolais travaille à convaincre les opérateurs économiques désireux d’investir dans le développement du secteur agricole, de le faire sans inquiétude. Pour ce faire, le Mécanisme incitatif de financement agricole (Mifa) a été mis en place. Courant juin 2019, cette société a été transformée en société anonyme, pour plus d’efficacité. Pour rappel, le Mécanisme incitatif de financement agricole a été créé en 2018.Il A pour but d’apporter une solution provisoire au déficit des financements bancaires dans le secteur agricole. Le Mifa a déjà débloqué un crédit de plus de 3 milliards FCFA pour soutenir 122 coopératives. De même, l’Etat togolais soutient fortement les initiatives de mécanisation de son agriculture. Ainsi donc, dans quelques années, le Togo pourra se fixer une date butoir pour atteindre l’autosuffisance alimentaire. Après, il tentera de vendre ses produits agricoles à ses voisins.
Le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et plusieurs autres pays de l’Afrique de l’ouest prennent part à cette lutte pour l’autonomisation alimentaire. Certes, à des proportions moins importantes, comparées à celles du Nigéria et de la Côte d’Ivoire, mais ces pays, dans leur désir de se nourrir eux-mêmes produisent un peu plus chaque année. Et ils ne seront pas prêts, en tous cas pas sans résistance, à laisser leurs marchés envahir par d’autres nations aussi voisines soient-elles.
Le consensus ou le fiasco
Les pays d’Afrique de l’ouest iront vers un fiasco agricole certain, s’ils ne prennent le soin de s’organiser. En effet, avec l’entrée en vigueur prochaine de la Zone de libre-échange continental africaine (Zlecaf), toutes les productions du continent auront à entrer en rivalité. Et si les pays africains n’arrivent pas à s’entendre pour se partager les denrées à produire, ils risquent dans leur majorité de financer les mêmes productions vivrières. Et la conséquence serait désastreuse. Car, l’Afrique se verra submergée par certains produits vivriers et manquera cruellement d’autres. Les prix des produits disponibles en quantité vont chuter et plusieurs producteurs feront faillite. En même temps, les prix des produits rares auront flambé et les consommateurs s’en ressentiront. Et la Zlecaf, cet instrument si adulé pourrait se retrouver être un lieu de désolation où les multinationales africaines feraient une bouchées des petites et moyennes entreprises. Toute chose qui n’aboutit pas au développement.