La production et la commercialisation du fromage de soja est rentrée, depuis quelques années, parmi les secteurs pourvoyeurs d’emploi et de richesse. Très apprécié par beaucoup de consommateurs, ce secteur occupe des milliers de femmes béninoises.
Félicienne HOUESSOU
Souvent coupé en forme losange, la couleur jaune du fromage de soja encore appelé ‘’amon soja’’ et son odeur de frite donnent de l’eau à la bouche. Parfois appelé viande des pauvres, il remplace valablement le poisson et la viande dans la casserole de nombre de béninois. Ainsi, depuis quelques années, le fromage de soja est rentré dans les habitudes alimentaires au Bénin, notamment dans les villes de Cotonou, Abomey-Calavi et environ. Le nombre de femmes productrices et vendeuses augmente de jour en jour en raison de la forte consommation. Annick Nontondji est productrice et vendeuse de fromage de soja. Elle s’y investit depuis 5 ans. Aidée par ses enfants, elle fait de bons affaires avec cette légumineuse qui présente l’avantage d’être un excellent substitut protéique aux produits carnés. « Je transforme au moins 10 kilogrammes de soja par jour. Tout dépend des commandes », informe-t-elle. En effet, cette dernière reçoit des commandes de plusieurs revendeuses. Ces commandes lui viennent des vendeuses de riz, de piron, d’akassa… « Avec les commandes et ce que je vends en détail, je fais au moins 4000 FCFA de bénéfice par jour. Ce bénéfice augmente ou diminue en fonction des commandes », révèle-t-elle. Selon dame Brigitte, une vendeuse d’akassa qui fait ses ravitaillements en fromage de soja chez elle, ce commerce marche bien même si le bénéfice n’est pas grand. « Je vend le fromage de soja comme accompagnement pour akassa. Si je vends pour 200 FCFA, je fais un bénéfice de 50 FCFA. Cela me permet de couvrir beaucoup de frais et ainsi j’économise pour mes dépenses quotidiennes », révèle-t-elle. Comme elle, plusieurs femmes font fortune dans ce commerce.
Installée au bord d’une ruelle à Akogbato, Rosine Sodji s’adonne tous les soirs à la vente du fromage de soja. Selon ses dires, non seulement les célibataires raffolent de cet aliment qui va avec tous les plats, mais aussi, beaucoup de foyer ne s’en passent plus. « Mes clients sont en majorité constitués de jeunes, de zémidjamen et quelques bonnes dames. Un seul client peut acheter pour 300 FCFA. Ceux qui accompagnent ça avec l’akassa prennent souvent au plus 200 FCFA de fromage de soja », confie-t-elle. Elle poursuit : « là j’ai trois stands pour les soirs et un pour la journée. Quand je fais du fromage de 20 kilogrammes de soja, je vends le tout en une journée. J’ai deux employés qui sont payés par jour pour occuper mes autres stands ».
Transformation du soja en fromage
La fabrication du fromage de soja utilise comme principales matières premières les graines de soja, le guissi et le filtrat fermenté qui sont les coagulants couramment utilisés. Pour la fabrication d’1 kg de fromage au soja déjà égoutté, il faut environ 5 kg de graine de soja. Sa réalisation requiert beaucoup de dextérité, de concentration et d’énergie. Pour Rosine Sodji, la production du fromage à base du soja passe par un certain nombre d’étapes. Du tri du céréale à la friture, le processus est long. « Dans un premier temps, J’immerge le soja et je l’envoie au moulin. Une fois écrasée, la céréale présente l’aspect d’une pâte que je presse afin d’obtenir une substance blanche, laquelle est mise sur le feu. Après quelques minutes sur le feu, je commence par ajouter de l’eau fermentée issue de l’Akassa communément appelée “guissi“. Finalement, on obtient une pâte blanche plus solide que la première. Elle sera versée dans un sac de maïs bien propre dont j’attache très bien le bout pour ne pas laisser l’air y pénétrer. Ensuite, je pose des briques comme charges lourdes sur le sac pendant que la pâte est encore chaude pour laisser l’eau s’écouler pendant environ 15 minutes afin d’obtenir une pâte plus solide, mais moins chaude que la précédente », explique-t-elle. Ce n’est qu’après toutes ces étapes qu’elle procède à la coupure de ce qu’elle appelle ‘’amon Soja’’ en forme de losange. Ensuite, le produit obtenu est mis au feu dans une marmite en ajoutant de l’eau simple, du gingembre, du bouillon, du piment, du sel, du poivron et de la feuille d’olive. « Après 45 à 50 minutes de cuisson, je peux maintenant commencer par frire le fromage à l’huile d’arachide pour avoir le produit fini», ajoute-elle. Ce délice ne cesse de s’imposer au fil des ans à la population béninoise, de par sa qualité. Toutefois, la production de fromage de soja reste limitée tant par la complexité du processus que par les difficultés de conservation.
Une culture à valoriser
Le soja est depuis plusieurs années utilisé sous de nombreuses formes à des fins alimentaires : lait pour enfant, bouillies, alimentation animale etc. Grâce au génie féminin, il est rentré dans les habitudes alimentaires sous forme de fromage de soja. Cela tombe à pique car, sa culture est en pleine expansion avec l’existence d’une politique nationale de promotion de la filière. De même plusieurs structures et organisations agricoles se sont engagées aussi dans la promotion du soja. L’une des légumineuses, les plus importantes cultivées en Afrique et au Bénin en particulier. La mise en place d’un système simple de mécanisation permettrait de faciliter les opérations de décorticage et de broyage, améliorant ainsi la productivité tout en réduisant la pénibilité. En effet la procédure de fabrication artisanale ne tient pas toujours compte des normes hygiéniques. Ce qui met en question la qualité du produit. Selon l’agronome Adonis Quenum, la production du fromage à l’échelle industrielle s’avère nécessaire pour le bonheur des béninois. Car cela permettrait non seulement de combler le gap qu’il y a entre la demande et l’offre en matière de produits riches en protéines et aussi d’apporter une valeur ajoutée à la culture du soja qui est d’ailleurs une filière au Bénin. « Le fromage de soja, viande des végétariens, très apprécié par beaucoup, constitue une excellente source de protéine végétale. Le soja est riche en vitamines et permet d’éviter les risques d’indigestion. Au regard de toutes ces qualités, la transformation toujours artisanale du soja demeure un gros problème », informe-t-il. L’élaboration de nouveaux itinéraires techniques plus rapides, la mécanisation de la production permettraient non seulement de couvrir quantitativement le marché national mais aussi de respecter les normes en matière de contrôle de la qualité du produit.