Conseiller technique principal du Programme système qualité de l’Afrique de l’ouest (PSQAO) de la Commission de la CEDEAO, AKA Jean Joseph KUASSI, aborde dans cet entretien les conclusions issues de l’atelier de formation des professionnels des médias de la région sur la qualité qui s’est tenue à Abidjan, les 27 et 28 novembre 2018.
L’économiste du Bénin :
Vous venez de réunir ici à Abidjan des professionnels des médias de tous les pays de la CEDEAO et de la Mauritanie pour renforcer leurs capacités sur les concepts de la certification, l’accréditation, tout ce qui concerne la qualité. Après deux jours de formation, quelles sont vos premières impressions ?
AKA Jean Joseph KUASSI
Mes impressions de façon générale, c’est que la Commission de la CEDEAO a eu vraiment raison d’inviter les journalistes à ce séminaire parce que, dans le domaine de la qualité, nous traitons d’un sujet qui touche les populations. Un sujet qui est abordé de façon un peu trop technique. Quand on parle de qualité de façon générale, les gens ne savent pas de quoi il s’agit, quand on parle de normalisation, accréditation, certification, inspection etc., pour la population pour qui ces outils sont développés, ça parait rébarbatif. Nous qui travaillons sur les domaines nous avons un langage trop technique, donc ce que nous faisons ne peut être bien perçu par les populations. Nous avons alors développé un certain nombre d’outils dans la région avec la CEDEAO et la Commission de l’UEMOA et ces outils ont commencé à être opérationnels. Ces outils ont été proposés pour défendre la qualité de vie des populations. Il était important qu’on commence maintenant par voir comment communiquer aux populations ce que nous faisons. Et nous savons que les journalistes jouent un rôle important dans l’aspect de communication, l’aspect de transformer comme il se doit l’information qui est trop technique, pour que ce soit mieux perçu par les populations. On a eu raison parce que les journalistes qui ont suivi cette formation ont marqué leur intérêt aux thématiques abordées et puis par la qualité des questions qui ont été posées, on sent qu’il y a quand même un intérêt à véhiculer le message aux populations.
Quel a été le contenu de cet atelier ?
Il faut dire que nous avons senti un intérêt par rapport aux thèmes qui sont développés et il y a eu beaucoup de questions qui ont été posées. Finalement, chacun de nous est un consommateur. Les journalistes que nous avons invités sont des consommateurs. Ils ont posé des questions à mon avis que les consommateurs devraient même se poser. Nous avons essayé de discuter ensemble et on a même eu des suggestions et des propositions que nous allons prendre en compte pour améliorer notre communication en direction des populations. Nous avons eu à présenter de façon générale ce qu’on entend par qualité avec ses différentes composantes. Et pour toucher du doigt tout ce que nous avons dit, on a visité un laboratoire important qui bénéficie de l’appui de la Commission de la CEDEAO dans le cadre du développement de la qualité, des analyses etc. Et là je pense qu’on a amené les journalistes à faire un rapprochement des langages très techniques que nous utilisons. En faisant un rapprochement avec les populations qui viennent voir les laboratoires pour pouvoir faire les analyses. J’ai été personnellement au cours de cette visite touché. Car, j’ai vu qu’il y a un début de conscience sur les questions qui touchent la qualité. Un début de conscience sur la culture qualité qui a commencé par se développer. Il y a un grand magasin qui est client du laboratoire en question et qui a témoigné. Ce magasin, il est soucieux de la qualité des produits qu’il propose dans ses rayons. Avant de proposer ses produits, il s’adresse au laboratoire pour voir si ces produits sont propres à la consommation. Ça c’est un exemple de ce que nous voulons. Qu’il y ait des fournisseurs de services, de produits, qui cherchent à savoir quel est le niveau de qualité de ce qu’ils proposent sur le marché. Ce magasin est allé vers un laboratoire qui est accrédité, c’est-à-dire dont les compétences sont internationalement reconnues. Donc cette partie de la visite a été pour moi un des moments les plus importants. Ensuite nous avons essayé de faire comprendre à nos invités que tous les processus que nous sommes en train de mettre en place a besoin de fiabilité. Quand vous avez un laboratoire, il faut que les analyses, les certificats d’analyses qui sont délivrés par ces laboratoires soient reconnus. Cette reconnaissance passe par la compétence effective de ceux qui travaillent dans les laboratoires mais aussi passe par la qualité des équipements qui existent dans ces laboratoires. Vous pouvez utiliser des équipements qui ne sont pas conformes, qui ne donnent pas les vraies valeurs.
Dans cette dynamique, quel rôle doit jouer les Etats ?
Il faut amener les Etats à comprendre que la qualité est un élément essentiel du développement économique. La qualité permet de protéger les populations, de sécuriser les importations, et aussi de bâtir la confiance dans les produits qui sont exportés. Donc la CEDEAO a amené les Etats à travers les chefs d’Etats et de gouvernements à adopter ce qu’on appelle la politique qualité de la CEDEAO qui unie l’ensemble des orientations qui doivent être prises au niveau de la région par tous les pays. Ensuite la CEDEAO a aidé chaque Etat à adopter sa propre politique nationale qualité qui doit être en harmonie avec le régional. De ce fait on peut dire aujourd’hui que l’ensemble des pays ont des textes qui sont harmonisés. C’est important lorsqu’on est dans un même espace économique où on veut que les produits circulent librement. Vous savez que les questions de norme et qualité aussi, ça peut constituer des obstacles. Ensuite la CEDEAO a mis en place les structures au niveau régional.
Pourquoi mettre en place des structures au niveau régional ?
C’est parce que la recherche de la qualité à un coût. La CEDEAO a mis en place des structures pour rationnaliser les ressources. C’est-à-dire par exemple dans le domaine d’accréditation, au lieu que chaque pays ait sa propre structure d’accréditation, dans la région de l’UEMOA, les pays ont un seul organisme d’accréditation, ce qui aurait été plus couteux de créer une seule institution d’accréditation pour chacun des pays donc la CEDEAO a aidé à créer les structures d’accréditation régionale où on amène les pays à se mettre d’accord sur la façon de gérer la qualité dans les différents domaines techniques en matière de normalisation, en matière de métrologie, en matière de l’évaluation en laboratoire etc. Donc les prescriptions de base sont là et la CEDEAO est entrain de pousser les Etats à développer leurs propres structures qui se mettent en relation avec le régional. Donc voila ce qui est en train d’être fait au niveau de la CEDEAO qui a mis en place un prix CEDEAO qualité dont la première édition a eu lieu l’année dernière et qui va se poursuivre. Il y a aussi une marque CEDEAO de la qualité.
Qu’en est-il des innovations pour améliorer tout ce qui est en train d’être fait dans la sous région ouest africaine ?
Ces innovations vont être discutées parce qu’on va faire le bilan de ce qui s’est passé et le Comité du prix va se pencher là-dessus. C’est vrai lors de la première édition du prix CEDEAO qualité, il y a eu du bon, il y a eu du moins bon. Le Comité va se réunir pour voir qu’est ce qui a été bon, qu’est-ce qui n’a pas été bon. C’est un processus continu d’amélioration. Les observations seront faites dont on va tenir comptes. Même au niveau des critères d’attribution du prix, on va réviser un peu ces critères en tenant compte de ce qu’on a vu sur le terrain. Déjà on a commencé un travail avec le Commissaire chargé de l’industrie et de la promotion du secteur privé. Généralement le Commissaire profite de ses missions dans les pays pour visiter un certain nombre de structures. Notamment il a eu à visiter ou à nous faire visiter certaines structures qui sont accréditées et notre objectif c’était de voir comment les structures sont accréditées, est-ce que ça leur a permis d’avoir plus de clients, d’avoir plus de notoriété et comment ils arrivent à survivre, à faire face au coût de l’accréditation.
Il se pose un problème de rentabilité de l’accréditation ?
C’est vrai que quand les structures sont accréditées, elles ont une certaine notoriété à l’extérieur, ce qui donne un engouement au personnel qui travaille dans ces structures accréditées. Cependant on nous a fait comprendre le coût élevé de l’accréditation. Donc il y a un retour sur investissement qui n’est pas forcément effectif quoi que cela donne une certaine notoriété. Donc nous avons pris note d’un certain nombre d’observations et nous sommes en train de travailler pour faire des suggestions en faveur de la réduction des services de l’accréditation ou de l’acquisition de l’accréditation même. Les structures d’accréditation ne peuvent pas s’autofinancer. Parce ce que c’est une sorte de service public. C’est une obligation pour les Etats de s’assurer que tout ce qui est fait par les organismes d’accréditation, de conformité, je veux dire les services de certification, de laboratoire, sont fiables. L’Etat a le devoir de veiller à cela. Si ce n’est pas fait, si les structures qui y travaillent n’ont pas suffisamment de ressources. Il est clair que l’Etat doit intervenir d’une façon ou d’une autre pour pouvoir combler cela à travers des subventions. Ces structures aussi peuvent développer des ressources propres. Ça se fait mais généralement quand on regarde à travers le monde, les recettes des structures d’accréditation ne permettent pas de couvrir tous les frais. C’est pour ça qu’il faut une certaine subvention des Etats.
Qu’est ce que vous pouvez dire sur l’aspect de l’éducation, de la culture qualité en Afrique de l’ouest ?
Je dirai que c’est un autre pilier de la qualité. C’est-à-dire que la qualité finalement c’est une question de culture. Quand vous allez en Europe, dans des pays comme la Suisse, quand vous jetez un mégot de cigarette par exemple, il y a quelqu’un qui va vous dire de ramasser ce mégot. Quand l’africain va en Suisse, il fait attention quand il marche. Mais quand il arrive chez lui, son mégot de cigarette, il le jette, quand il prend une banane, il jette la peau dans la rue et personne ne va lui réclamer ça et puis dans sa culture on peut jeter ça dans la rue. C’est pour ça qu’il faut l’éducation et de façon continue, il faut éduquer, il faut surtout sensibiliser au plus haut niveau. Même les décideurs, il faut les sensibiliser sur les questions de la qualité. Les consommateurs aussi, il faut les sensibiliser sur les questions de la qualité. Et en ce qui concerne les consommateurs, on veut s’allier à vous les journalistes pour nous aider à faire passer le message. Mais il y a d’autres moyens d’éduquer les populations. Par exemple l’enseignement de la qualité. La qualité devrait être normalement enseignée dans les écoles et universités selon nous. Actuellement nous sommes entrain d’aborder cette question au niveau de la Commission de la CEDEAO où on veut commencer par l’enseignement supérieur. Nous sommes en train de faire une étude actuellement pour savoir comment enseigner la qualité au niveau du supérieur. Parce que, ce qui se passe c’est que, même je suis sorti de l’école je n’avais pas été formé sur les questions de qualité. La qualité je l’ai appris sur le tas et avec les expériences. De plus en plus il y a des écoles qui commencent par se spécialiser dans le domaine de la qualité mais c’est fait un peu de façon dispersée. On veut commencer par là et puis descendre jusqu’au primaire.
Un mot pour conclure cet entretien
C’est essentiel que les gens voient l’importance de la qualité. On a essayé de vous montrer quelques aspects mais on n’est pas sûr qu’on y soit arrivé. C’est un début peut-être on va continuer avec vous mais il faut qu’on éduque chacun. Quand vous allez dans un restaurant, vous mangez. Mais est-ce qu’il vous arrive de faire un tour dans l’arrière cours où on prépare les mets ? Il y a des questions de qualité qui se posent, des questions d’hygiène. Donc c’est une question d’éducation. Quand les gens seront mieux éduqués, ils seront plus regardant par rapport à la qualité et quand la population sera aussi exigeante par rapport à la qualité, ceux qui fournissent les services seront obligés d’aller à la qualité donc le meilleur investissement dans ce domaine, c’est l’éducation. Il faut qu’on investisse dans l’éducation, la formation, la sensibilisation parce que ça va créer des besoins et les fournisseurs de services seront obligés de respecter les normes. Prenez les entreprises. Les entreprises, tant qu’il y a un marché, elles vont investir pour ça. Si le marché exige la qualité, les entreprises vont même acheter les laboratoires. Mais si personne ne demande la qualité, ils ne feront rien. Parce qu’ils savent que si, les gens demandent la qualité et qu’ils ne proposent pas des produits de qualité, ils vont investir dans la qualité parce que le marché le demande. Donc c’est un grand chantier où on a besoin de tout le monde, des associations de consommateurs, on a besoin de vous les journalistes pour nous aider à passer le message et l’atelier qu’on a eu c’est un premier, l’idéal serait un groupe de journalistes spécialisés sur les questions de qualité qui peuvent travailler au niveau de différents comités pour nous orienter dans la façon de faire connaitre la qualité.
Entretien réalisé par Joël YANCLO