L’utilisation des cryptomonnaies prend de l’ampleur dans beaucoup de pays africains. Si certains Etats ont adopté ces monnaies numériques comme moyens de paiement, des réflexions sont en cours dans d’autres pour leur validation. Ces moyens de paiement sans contact, se multiplient pour contourner le quasi-monopole des banques.
Abdul Wahab ADO
La République centrafricaine a récemment adopté le Bitcoin, comme monnaie légale. Ce qui n’est pas étonnant, vu le nombre important de personnes qui utilisent le Bitcoin dans leurs transactions financières. Au niveau de la première puissance économique africaine qu’est le Nigéria, la Banque centrale du Nigeria (CBN) a lancé sa monnaie numérique, l’e-Naira, la version numérique de sa monnaie, le Naira en octobre 2021. A cette occasion, Godwin Emefiele, gouverneur de la CBN, a fait savoir que la monnaie e-Naira aidera à améliorer le système de paiement dans le pays. « Tout le monde peut l’utiliser en fournissant les informations sur les applications ‘e-Naira fast wallet’ et ‘e-Naira merchant wallet’ disponibles sur Google Playstore et l’Apple Store », avait indiqué le gouverneur de la CBN. Si le Nigéria a lancé sa monnaie numérique, cela confirme l’utilisation de la cryptomonnaie par une importante frange de la population. Car selon une étude, le Nigeria occupe le premier rang mondial en termes d’utilisation de la cryptomonnaie. Il faut dire également qu’au Nigéria, les voyageurs sont autorisés à payer leur ticket en Bitcoin. Il s’agit des voyageurs de la compagnie Emirates Airlines. Cela montre l’utilisation générale des cryptomonnaies au Nigéria. Même si les banques centrales en Afrique de l’Ouest n’ont pas encore légalisé l’utilisation des monnaies virtuelles, beaucoup d’agents économiques et une frange importante de la population utilisent ces moyens de paiement dans leurs transactions financières. Dans les autres pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, l’utilisation de la cryptomonnaie est devenue monnaie courante. En analysant les impacts du phénomène et de son ampleur, Philippe Herlin, économiste, chroniqueur et docteur en économie du Conservatoire national des arts et métiers dans sa revue des finances publiques sur « la fin des banques », a fait savoir que ce bouleversement à venir des moyens de paiements est aussi une réelle menace pour les banques, qui pourraient devenir la sidérurgie de la prochaine décennie.
Utilisation des cryptomonnaies dans l’Uemoa
L’utilisation de la cryptommonnaie dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine suscite donc beaucoup de d’inquiétudes. Dans l’Uemoa, où les cryptomonnaies sont utilisées par une grande partie des populations, la forte volatilité de leurs cours, à l’image du Bitcoin, constitue cependant un risque majeur pour les économies, selon Monsieur Tiemoko Meyliet Koné, ancien Gouverneur de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Selon une réflexion de la BCEAO sur le Bitcoin, si la définition du Bitcoin est aisée au plan technique, en revanche du point de vue juridique, elle ne l’est pas. Le Bitcoin n’est pas juridiquement reconnu comme monnaie ayant cours légal, ni comme moyen de paiement valable. En droit, le Bitcoin ne répond non plus à la définition de « monnaie électronique », dans la mesure où il n’est pas émis contre remise de fonds. En effet, contrairement à la monnaie électronique, le Bitcoin n’est pas assorti d’une garantie légale de remboursement à tout moment et à la valeur nominale en cas de paiement non autorisé. En conséquence, il n’offre aucune garantie de sécurité, de convertibilité et de valeur, contrairement à la monnaie ayant cours légal. En somme, les cryptomonnaies présentent donc la faille congénitale de n’être adossées à aucune institution de type banque centrale qui puisse en garantir la valeur et la convertibilité. Il faut préciser que le FMI s’inquiète pour l’évolution des monnaies virtuelles. C’était au lendemain de l’adoption par la Centrafrique. Deuxième pays le moins développé du monde selon l’ONU, la Centrafrique est le premier pays d’Afrique et seulement le deuxième au monde (après le Salvador) à adopter le Bitcoin comme monnaie officielle. Au lendemain de l’adoption du Bitcoin comme monnaie officielle, le Fonds monétaire international (FMI) avait appelé à « ne pas voir le Bitcoin comme une panacée contre les défis économiques auxquels l’Afrique fait face ».
La Banque centrale européenne favorable aux Cryptomonnaies
Sur le vieux continent, les dirigeants communautaires de l’Europe sont en réflexion vers une régulation harmonisée. Mais en Afrique, les enjeux ne sont pas encore urgents aux yeux des responsables financiers. Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), a défendu l’idée d’une régulation harmonisée des cryptoactifs et donc des cryptomonnaies au sein des 19 pays membres de sa zone de compétence. Sa recommandation faisait suite à l’adoption provisoire par les pays d’une régulation commune. « Les innovations dans ces territoires inexplorés et non répertoriés font courir des risques aux consommateurs, où l’absence de réglementation couvre souvent la fraude, des affirmations totalement illégitimes sur l’évaluation, et très souvent la spéculation, ainsi que des opérations criminelles », a fait savoir Mme Lagarde. En effet, le cadre réglementaire adopté par les pays de la zone euro devra encore faire l’objet de validation en interne par les pays qui ont des stratégies et des objectifs différents pour les cryptoactifs.
L’Afrique n’échappe pas aussi à la préoccupation des cryptomonnaies. Si la République centrafricaine a fait du Bitcoin, une monnaie ayant cours légal, même pour le paiement des impôts et taxes, les autres pays emboiteront ses pas. Pour l’instant, la question d’une régulation harmonisée des cryptoactifs n’est même pas encore évoquée publiquement par les pays africains. Pour l’heure, ces produits financiers sont admis dans 7 pays africains, dont la Centrafrique, comme monnaie légale. Ils sont formellement interdits dans 4 pays. 27 autres juridictions semblent les tolérer et plusieurs autres pays n’ont encore rien dit à ce propos. Il faut dire que l’utilisation des cryptomonnaies a pourtant rapidement gagné en confiance au sein de la région ouest africaine. Elles sont perçues par beaucoup comme une opportunité de s’enrichir. Les évolutions des réflexions d’adoption des cryptomonnaies en Europe sont d’autant plus à suivre par les pays membres de l’UEMOA et de la CEMAC, dont les monnaies sont liées à l’euro par une parité fixe, mais aussi dont les membres de la diaspora adoptent progressivement le Bitcoin comme monnaie.