Les banques contribuent sous tous les cieux au financement de l’économie des Etats. Elles financent les politiques publiques, surtout les projets structurants du programme d’action des gouvernements. Les banques béninoises peinent à financer convenablement les projets phares du Programme d’action du gouvernement. Elles préfèrent malheureusement accorder leurs crédits à des projets secondaires plutôt qu’aux projets prioritaires de l’Exécutif, illustrant qu’elles rament à contrecourant.
Bidossessi Oslo WANOU
L’apport des banques béninoises au financement du Programme d’action du gouvernement (PAG) est insuffisant. Des secteurs, notamment l’agriculture, l’agro-industrie, l’entrepreneuriat, le tourisme, etc. sont prioritaires dans la politique de développement de l’Etat béninois. Depuis l’avènement du président Patrice Talon en avril 2016, ces secteurs, en plus de celui des infrastructures concentrent de forts taux d’investissement. A tout cela, il faudra ajouter le numérique et la digitalisation. En témoignent les pôles d’innovation tels Sèmè-City et la Zone industrielle spéciale de Glo-Djigbé et les nombreuses mesures en faveur de la professionnalisation du tourisme. Il est évident que l’Etat à lui seul ne saurait réussir le pari. C’est ce qui justifie la part belle faite au Partenariat public-privé (PPP) offrant des conditions favorables au mieux-être et à l’essor du secteur privé. Mais toujours est-il que les banques qui opèrent sur le marché béninois peinent à s’aligner sur les priorités du gouvernement. Selon des informations rapportées par le professeur John Igué, qui a cité la Direction générale du financement de l’économie, le besoin de financement de l’économie est d’environ 8000 milliards de francs CFA par an. Pour répondre à ce besoin de financement, quatre structures interviennent à savoir : les structures bancaires et institutions bancaires intérieures et les structures bancaires extérieures puis des microfinances. Les banques et structures de microfinance apportent moins du quart des besoins soit environ 2000 milliards FCA. Dans son développement, John Igué souligne que sur les 1819 milliards FCFA, les banques apportent en réalité 1648 milliards. Le reste soit environ 200 milliards étant réparti entre les structures de microfinance. Ces chiffres concordent avec ceux contenus dans le document « Evaluation du financement du développement du Bénin- rapport d’analyse Version préliminaire Octobre 2020 ». On lit en effet dans ce document : « Le total des encours de crédits accordés par les banques et les SFD aux privés s’élève à environ 1819 Milliards FCFA à fin 2019, soit 42% du financement privé intérieur. Le montant de 1648 sur 1819 milliards FCFA de crédits accordés aux privés par les banques représente une part d’environ 91% des efforts des banques et établissements financiers ». Josiane Tchoungui, Directrice de Orabank-Bénin et Vice-présidente de l’Association professionnelle des banques et établissements financiers du Bénin (APBEF) à la conférence publique du samedi 26 mars 2022 à Cotonou, rectifie et évoque un appui des banques béninoises à l’économie de l’ordre de 2000 milliards. Comparativement donc au besoin réel, les banques et microfinances au Bénin n’apporteraient que le ¼ voire moins du besoin réel de l’économie béninoise. Dès lors, « L’économie béninoise telle qu’elle fonctionne est soutenue par ses relations avec l’extérieur à partir de l’aide internationale et à partir des prêts sur les marchés financiers », a souligné John Igué qui en a conclu que le rôle des banques est encore très faible.
Les piliers du PAG : les enfants pauvres !
Dans un pays où l’Etat entend s’appuyer sur le tourisme, la création d’entreprises et l’entrepreneuriat pour créer de la richesse, les Banques préconisent le commerce de gros. C’est du moins ce qui ressort des priorités d’investissement recueillies et rapportées par l’universitaire John Igué qui s’est référé aux services compétents. Dans l’ordre ; on note que le commerce de gros est le premier centre d’intérêt des banques installées au Bénin avec un financement de 250 milliards de FCFA. Les services fournis à la collectivité, les services sociaux suivent avec 240 milliards de francs. Viennent les secteurs des bâtiments et travaux publics (BTP) qui captent 200 milliards de francs provenant des banques. L’industrie manufacturière quant à elle bénéficie de 150 milliards FCFA tandis que les secteurs des assurances et de l’immobilier ne reçoivent que 100 milliards de francs avec une répartition inégale des fonds. L’industrie manufacturière reçoit ainsi 90 milliards. Les secteurs des transports, entrepôt et communication absorbent 50 milliards à l’instar du commerce de détail et du secteur de l’électricité, gaz et eau. La sylviculture, la pêche et l’agriculture, ne sont financées toutes qu’à hauteur de 30 milliards par le secteur bancaire national au Bénin. Et pourtant, le secteur agricole est l’une des principales priorités de l’Etat béninois via les différentes filières notamment le coton, l’anacarde, le soja, le karité, l’ananas et les autres filières en raison de son impact sur le développement de la population et de sa contribution au PIB. Plus de la moitié de la population béninoise évolue pourtant dans l’agriculture. Selon les données issues du Recensement national agricole de 2019 (RNA), la population agricole est de 6.506.980, soit plus de la moitié de la population béninoise, 12.915.002 habitants en 2022 selon les Projections de l’Institut national de statistique et de développement (INStaD). Conscient de la situation, le gouvernement ne cesse de prendre des initiatives mais toujours est-il que ça rame et l’engouement des banques tarde. Lors de la deuxième édition de la rencontre « Jeudis de l’investisseur» initiée par l’Agence de promotion des investissements et des exportations (Apiex) le 09 juin 2022 à Cotonou, Cossi Gaston Dossouhoui, ministre de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche soulignait: «L’essentiel de la matière première se trouve d’origine agricole. Les banques restent toujours frileuses quant au financement du secteur agricole qu’elles estiment trop risqué. L’Etat a apporté des financements dans le secteur agricole et pourtant, ça ne prend pas. Il faut que les gens cessent d’être frileux ». Comme l’agriculture, le tourisme et les autres secteurs connexes, à savoir l’hôtellerie et la restauration ne bénéficient que d’un soutien bancaire de l’ordre de 10 à 15 milliards de francs, avec une disproportion dans les choix géographiques de promotion du secteur. Ces données sont confirmées dans le document « Evaluation du financement du développement du Bénin- rapport d’analyse version préliminaire octobre 2020 » (Cf Graphique). S’il est vrai que ces chiffres peuvent avoir évolués, ce ne serait que dans une faible proportion. D’ailleurs, approchée pour se prononcer sur ces chiffres, l’Apbef a renvoyé aux chiffres de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et du Conseil national de Crédit, qui ont servi de base à cette évaluation. Ces filières, faudrait-il le souligner, dans les Programmes d’actions du gouvernement PAG1; (2016-2021) et PAG 2 (2021-2026) forment le pilier 2. La conséquence est le retard du développement avec de très faibles infrastructures notamment dans les zones qui abritent la majorité des sites touristiques à fort impact économique. Alors que les grands complexes hôteliers sont à Cotonou, la métropole, les sites à attractivité touristique importante sont bien loin à des kilomètres comme par exemple à Ganvié (Le village lacustre ou Venise d’Afrique), Abomey (les palais et architectures royaux), Ouidah (la route de l’esclave, le Vodun et autres), Pendjari (le parc animalier), Zagnanado (l’île Agonvè), Natitingou (les Tatas Sombas) pour ne citer que ceux-là. L’industrie touristique est logée dans cette même catégorie des mal-lotis. Mais comment aller au développement holistique et intégré si les banques ont des priorités différentes de celles de l’Etat ?
La nature des dépôts bancaires au banc des accusés
Les priorités de l’Etat comme on peut aisément s’en convaincre sont les dernières sur la liste des banques pour lesquelles, elles sont très peu prisées voire méprisées. Un choix qui semble cependant justifié, selon le professeur John Igué. A ce propos, l’universitaire passionné des questions économiques a évoqué la nature des dépôts des banques. « Les dépôts ne rassurent pas les banques pour qu’elles puissent s’engager sur le long terme », avait-t-il fait savoir. Malheureusement le long terme dans la stratégie des banques béninoises en matière de financement ne représente jusqu’en 2016 que 7% contre 37% pour le cours terme et 47% pour le moyen terme, selon le document « Evaluation du financement du développement du Bénin-; Equipe Efd-Bénin » suivant les données collectées en juillet 2020 à la page 33. Ainsi, « du fait de la nature de leurs dépôts, les banques n’ont qu’une stratégie de court terme », a soutenu l’universitaire John Igué.
Cette situation est liée par ailleurs à une contrainte d’illiquidité des banques. Sachant que les banques sont à vocation commerciale, n’étant émettrices d’aucune monnaie, elles s’appuient elles-mêmes sur les dépôts notamment ceux à long terme, ce qui est très peu fréquent dans leur portefeuille. Ainsi, elles préfèrent satisfaire plus les demandes à court et moyen termes. C’est donc face à cette incapacité des banques à financer le long terme que l’Etat est obligé de recourir au financement extérieur qui a généralement une plus longue maturité. Face à la situation, le projet de création de monnaie serait d’un grand apport car, il permettrait de résoudre un tant soit peu le problème d’illiquidité.