Le Directeur Général du Fonds national de développement agricole (FNDA), Dr Nicolas Ahouissoussi était l’invité de marque du « Club de L’économiste » le 11 avril dernier. Une causerie-débat initiée par le groupe de presse « L’économiste du Bénin » et l’agence de communication « Chez vous ». Avec les médias partenaires, le Dg Fnda a fait le tour des sujets brûlants liés à sa structure.
Quel est avant tout propos votre parcours à la Banque mondiale ?
J’ai passé à peu près de 28 ans à la Banque mondiale. J’ai d’abord commencé au bureau de la Banque mondiale ici à Cotonou. Dès que j’ai fini mon doctorat aux Etats-Unis, j’ai postulé au test de la Banque mondiale et aussitôt j’ai été appelé. Je suis revenu à Cotonou et j’ai commencé par travailler, j’ai passé dix ans au poste ici. Au cours de cette période, on a réalisé beaucoup de choses dans la filière coton par exemple. Aujourd’hui, je me réjouis du coton qui est en train d’être transformé à Glo-Djigbé et dont le Bénin est devenu le premier producteur en Afrique subsaharienne. C’est le fruit des réformes que nous avions pensées ; pour lesquelles nous avons beaucoup lutté et qui avaient eu du mal à se mettre en place mais fort heureusement depuis 2016, ce qu’on avait prévu dans les années passées est en train d’être mis en place, d’où les résultats qui sont là. Pour ceux qui ne le savent pas, la filière cotonnière avait connu beaucoup de difficultés dans le passé mais aujourd’hui on est très content de ce qui se passe. C’est l’un des résultats de mon passé ici à la Banque mondiale parce que nous avons fait un projet qu’on appelait l’AFC (projet d’Appui à la Filière Coton). La mise en place de l’AFC avait sorti la filière de l’impasse. Aujourd’hui les résultats sont là.
Vous avez effectué récemment une visite à la Zone industrielle de Glo-Djigbé en compagnie de votre personnel et de quelques partenaires. Dites-nous ce qui a motivé un tel déplacement et quelles ont été vos impressions à l’issue de cette sortie ?
D’abord en tant que béninois, en regardant tous les jours la télévision, je voyais beaucoup de choses passer sur la Zone Industrielle de Glo-Djigbé. Ça paraissait très intéressant et il était nécessaire que moi-même, personnellement, j’aille voir ce qui s’y passe. Nous travaillons avec les petits producteurs. Nous essayons de faciliter leur accès aux crédits, pour avoir le financement nécessaire pour produire, non seulement mieux produire, mais produire davantage pour pouvoir alimenter Glo-Djigbé. Donc, je crois qu’il était de bon ton d’aller voir vraiment ce que nous faisons en amont, comment cela se transforme. C’est simplement cette logique qui nous a conduit à aller à Glo avec les partenaires et le personnel pour voir ce qui s’y fait, pour mieux apprécier ce qui s’y passe et faire davantage pour augmenter la production. Aujourd’hui, 10% de coton fini est transformé ici. Le soja, l’acajou y sont également transformés. Donc, il faut aussi produire davantage et mieux produire aussi. Quand j’étais là-bas, j’ai utilisé un mot auquel les gens n’ont pas prêté attention. Je disais : ‘’si vous voulez produire des choses pour une industrie, il faut vous assurer que le produit que vous envoyez est homogène’’. Quand on parle de l’homogénéité du produit, ça veut dire qu’on doit produire selon certaines conditions optimales. Ce n’est pas le tout-venant. Donc, nous devons mieux organiser les producteurs à la base et mieux les financer pour qu’ils produisent davantage. Ce qu’on a vu est impressionnant.
Le gouvernement, au cours de la session du Conseil des ministres du 24 janvier 2024, a autorisé le Fnda à contractualiser avec un cabinet international en vue de l’obtention d’un agrément d’établissement financier de cautionnement auprès de la commission bancaire de l’Umoa. Qu’espérez-vous de cette démarche et quelles sont les retombées pour le Fnda ? Où en sommes-nous actuellement ?
De cette démarche, nous espérons essentiellement une chose : l’obtention de l’agrément d’établissement financier de cautionnement qui nous permet d’émettre des garanties qui soient éligibles aux dispositifs prudentiels de l’Umoa. On a alors contractualisé avec le cabinet et c’est tout un processus. Il y a des documents qu’il faut produire et soumettre à la commission (bancaire, ndlr) de l’Umoa qui discute et voit si tout est bon et après, elle autorise l’agrément. Cette démarche vise à améliorer la garantie de notre Fonds. Aujourd’hui, la garantie qu’offre le Fnda est adossée à l’Etat. Cet agrément permet d’accorder plus de prêts et c’est plus de financement qui est accordé au secteur agricole.
Vous êtes arrivé à la tête du FNDA le 21 juin 2023 après la crise qui a secoué l’institution en octobre 2022. Depuis votre nomination, qu’est-ce qui a changé véritablement ? Quel est le bilan de votre gouvernance ?
La première des choses qui est en train de changer, c’est la façon de travailler -comme le dit l’adage « il n’y a de richesse que d’homme » – on ne change pas les hommes mais on peut travailler sur les hommes afin qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Dès que je suis arrivé le 21 juin 2023, la première des choses qui est en train de changer, c’est la mentalité des agents. C’est un établissement public à gestion privée, nous travaillons pour la culture des résultats. Si nous travaillons pour la culture des résultats, tout change. L’autre chose, c’est la gouvernance. Il faut revoir le mode de gouvernance. Il y a trois choses sur lesquelles je veux focaliser votre attention, c’est la transparence, la bonne gouvernance et les résultats. J’éduque par l’exemple. Je ne reçois jamais un promoteur sans un collaborateur à côté. Il n’y a rien à cacher sous le soleil, c’est la transparence totale.
C’est un peu trop tôt de parler de mon bilan. Mais ce qui est sûr, à ce jour, beaucoup de gens sont en train de dire qu’au Fnda la mayonnaise est en train de prendre. On peut dire que la mayonnaise a commencé par prendre parce que depuis que nous sommes là, il y a quand même des objectifs qui ont été atteints, des niveaux de financement qui ont été atteints et qui indiquent qu’on est sur le bon chemin. De 2020 à 2022, soit 36 mois d’exercice, grosso modo, c’est 11 milliards FCFA qui sont à l’actif du Fnda. De 2023 à aujourd’hui, on est à plus de 68 milliards en un an. C’est vrai qu’il y a des actions qui avaient été entamées avant et qui ont commencé par s’éclore, et c’est tout ça qui donne ces résultats actuels. Mais il y a aussi des choses qu’on a faites pour faciliter l’éclosion de tout ce qui avait été pris comme engagement avant, si on prend le cas des refinancements par exemple. On a mis en place des lignes de refinancement jusqu’à hauteur de 5 milliards mais jusqu’en juin c’était à peine 500 millions qui avaient été tirés. Il y a aussi l’éclosion de la garantie. Cela veut dire que les gens commencent par faire davantage confiance au Fnda et les crédits commencent par être mis en place. Nous espérons que ça va se poursuivre. Donc en termes de bilan, nous pensons que nous avons pris un certain envol.
Le Fnda ne fait pas de crédit mais le facilite à travers les banques et les Sfd partenaires, lesquels se plaignent souvent des difficultés économiques que rencontrent de plus en plus leurs clients face à la cherté de la vie. Que fait le Fnda et par ricochet le gouvernement pour soulager la peine de ces partenaires indispensables à l’accès au financement agricole ?
L’Etat a pris certains engagements qui profitent au monde agricole. Surtout pour les mesures que le gouvernement a prises au profit des Sfd performants, le taux de refinancement est de 0% alors qu’avant c’était à 2%. Si les Sfd sont performants, on fait le point chaque six mois et on leur rétrocède les 2%. On a aussi relevé le plafond, avant c’était 5 millions, maintenant on a porté ça à 10 millions. Le crédit d’équipement était à 10 millions avant ; aujourd’hui c’est porté à 30 millions.
Que gagnent les exploitants agricoles à passer par le Fnda plutôt que de solliciter directement leur crédit au niveau des institutions de microfinance et des banques ?
C’est une question triviale. Toutes les banques (partenaires, ndlr) ont baissé leur taux à 9 % maximum au lieu de 14, 13 ou 12% si les exploitants agricoles vont directement. Au niveau des Sfd, les taux tournent autour de 15, 18, 20, 24%. Nous avons négocié ça à 12% (avec les Sfd partenaires, ndlr). Les 2%, on les rétrocède aux Sfd s’ils sont performants. L’un dans l’autre, les Sfd et les bénéficiaires ont intérêt à rester dans le schéma du Fnda.
Le gouvernement a doté le Fnda d’un financement de 100 milliards FCFA en 2020. Que sont devenues ces ressources d’abondement par l’Etat béninois ?
Un budget par définition est une faculté de dépense. Les Sfd mettent en place des lignes de crédits. Après, ils saisissent le Fonds pour dire, nous avons mis en place un tel montant de crédits. Le Fnda paie le montant aux Sfd. Et, au fur et à mesure que les producteurs remboursent, les Sfd paient aussi. C’est ça le refinancement. 100 milliards ce n’est pas de l’argent qu’on met dans une caisse. Au fur à mesure des besoins, on demande ou on prend et on met en place. Aujourd’hui, on en a fait pour la facilitation, la bonification, le refinancement. Tant que les partenaires financiers ne demandent pas, on ne peut pas prendre l’argent. C’est essentiellement lié à la demande.
En dehors de l’Etat, quels sont les autres partenaires qui accompagnent le Fnda ?
Il y a beaucoup de partenaires qui nous accompagnent. Le premier partenaire, c’est d’abord l’Etat. D’autres partenaires comme la Coopération Suisse, la KfW, la BEI, Enabel, la Bad nous accompagnent.
Nous avons des pays de la sous-région qui veulent créer carrément des banques agricoles. La création d’une banque agricole au Bénin, est-elle à votre avis opportune ?
Je vous réponds de deux manières. Que ce soit une banque agricole ou que ce soit un Fonds, cela doit répondre à des objectifs bien définis. On est parti du constat que l’agriculture n’est souvent pas bien financée. Simplement parce qu’il y a trop de risques à financer l’agriculture. En 2008, il y avait une crise alimentaire très sévère. A l’époque, la plupart des gouvernements ont préféré financer d’autres projets qui ne prennent pas en compte l’agriculture. D’où la grande crise de 2010. C’est là où les gens ont compris que l’agriculture était vitale. Dans tout le monde entier, les gens subventionnent l’agriculture notamment aux Etats-Unis, au Japon. Dans ce sens, on peut faire une banque comme on peut faire un Fonds. Pour revenir au pays, nous avons fait l’expérience de la Caisse Nationale de Crédits Agricoles (CNCA) mais in fine l’argent de la Caisse n’a pas servi à l’agriculture. La CNCA est morte de sa belle mort. Dans ces conditions, est-ce qu’il faut faire une banque ou un Fonds ? Au Rwanda par exemple, c’est une banque agricole qui est créée mais qui n’est pas assujettie aux lois bancaires. Ici, on a décidé de créer un Fonds et l’argent va effectivement aux producteurs. On a mis en place un Fonds sauf qu’on ne fait pas de crédits. Nous sommes en train de faire l’expérience du Fonds, on va la faire suffisamment quitte à voir ce que ça donnera dans le futur. Il n’est pas opportun de créer une banque agricole au Bénin.
Transcription : Belmondo ATIKPO