Le retrait des pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) aura des impacts sur des Etats de la communauté. Ainsi, le Bénin qui commerce à divers degrés avec chacun de ces Etats respectifs s’en trouvera lui aussi affecté en raison des limites et nouvelles conditions qui pourraient s’imposer. L’Observatoire du commerce, de l’industrie et ses services (OCIS) de la CCI-Bénin s’est interrogé au sujet.
Bidossessi WANOU
Après les nombreuses conséquences liées à la fermeture des frontières notamment, la baisse drastique des trafics au Port autonome de Cotonou (PAC), le bout du tunnel n’est pas encore proche pour le Bénin. Le retrait des pays de l’AES de la CEDEAO sera un os dans la gorge du pays. Le Port de Cotonou qui pesait déjà pour peu dans la sous-région à côté de ceux de Lomé au Togo, Téma au Ghana et récemment, Lekki au Nigéria, passe visiblement les moments « les plus sombres » depuis sa création. Vivant en garde partie des échanges avec les pays de l’hinterland (environ 44%), le Port de Cotonou connait une réduction continue de trafic et de fréquentation. Par corrélation, cette baisse de trafic impacte d’autres acteurs de la plateforme notamment, les dockers, de plus en plus désœuvrés tout comme les transporteurs en raison de la rareté des navires. Pendant qu’on y est, le brusque retrait des pays de l’AES vient enfoncer le clou. La rétraction de ses pays vis-à-vis du port autonome de Cotonou induira une baisse drastique de ressources. Par analogie, le PAC dit poumon de l’économie béninoise pourvoit largement à la mobilisation de ressources financière donc, dans le budget national. Les implications du retrait des pays de l’AES de la CEDEAO sur l’économie du Bénin seront présentes à plusieurs égards. Selon l’Observatoire du commerce, de l’industrie et ses services (OCIS), différents aspects sont susceptibles d’être affectés, notamment le commerce, les investissements, l’Industrie et la stabilité régionale. Abordant le cas du Bénin, « l’impact de cette décision sera significatif sur la vie économique et sociale, étant donné les liens étroits entretenus avec les différents pays de l’AES dans plusieurs domaines », constate l’OCIS. Au plan commercial, l’Observatoire rappelle le niveau des échanges entre ces trois pays et le Bénin en citant l’Institut national de statistique et de la démographie. « D’après les statistiques de l’INStaD en 2023, le Mali, le Niger et le Burkina Faso font partie des dix principaux partenaires du Bénin en termes d’exportation et d’importation au sein de la CEDEAO. Les échanges avec ces pays (Mali, Niger et Burkina Faso) représentent respectivement 5,1 %, 12,8 % et 5,0 % des exportations de la CEDEAO et 0,5 %, 0,6 % et 2,8 % des importations de l’espace économique », rapporte l’OCIS. Sans se tromper, on remarque que les pays de l’hinterland sont les principaux partenaires du Port autonome de Cotonou et les premiers partenaires à l’exportation du Bénin dans la CEDEAO. Au fait, « les principaux produits exportés vers le Niger : Riz semi-blanchi, même poli, glacé, étuvé ou converti (y compris le riz en brisures) » pour un montant de 1,5 milliard de FCFA, les « tourteaux et autres résidus solides…évalué à 0,8 milliard de FCFA et les sucres de canne ou de betterave, bruts, à l’état solide, sans addition d’aromatisants ou de colorants », pour un montant de 0,4 milliard de FCFA. En ce qui concerne les exportations vers le Mali, les « graines de coton » dominent avec un montant de 1,2 milliard de FCFA (11 264,0 tonnes), suivies des « jus de tout autre fruit… » (0,1 milliard de FCFA) et des « huiles de pétrole ou de minéraux bitumineux… » (0,1 milliard de FCFA correspondant à 85,1 tonnes) destinées exclusivement à la réexportation. Pour ce qui est du Burkina, les principaux produits exportés par le Bénin vers ce pays sont : graines de coton (474 534 960 FCFA), armure toile d’un poids excédant 100 g/m², (170 218 574 FCFA), pâtes alimentaires (147 148 026 FCFA), et fongicides (87 000 000 FCFA) », liste l’OCIS dans son analyse. C’est dire qu’il y une certaine dynamique au plan commercial qui ne manquera pas d’être affectée par ce brusque retrait des pays de l’AES. Déjà avec la fermeture des frontières imposées par la CEDEAO, le Bénin a perdu quelques plumes. Le bulletin trimestriel de statistiques de l’INStaD au 3è trimestriel de 2023 affiche : « Au troisième trimestre 2023, les exportations de marchandises du Bénin ont connu une baisse de 9,6% par rapport au deuxième trimestre 2023. Les importations de marchandises sont en recul de 20,8% au troisième trimestre 2023 par rapport au trimestre précédent ». Avec ce retrait de la CEDEAO des pays de l’AES, ces baisses des échanges commerciaux entre le Bénin et ces nations voisines seront plus prononcées. On notera de nouveaux accords économiques et de coopération qui pourraient ne pas arranger. Important port de desserte des pays du Sahel, le PAC permet au Bénin d’engranger d’importantes ressources.
Des risques de perdre de gros clients
D’après les autorités portuaires (PAC, 2014, p.20 ; Lihoussou, 2014, p.14), plus de 90 % du commerce extérieur du pays passent par ce port ; 45 à 50 % des recettes fiscales y proviennent en plus des 80 à 85 % des recettes douanières. Les pays de l’AES formant l’hinterland y prennent une grosse part. Sur son site internet, le PAC ne le cache pas. « Les pays de l’hinterland représentent donc une part importante de notre clientèle », lit-on. Dans une publication en date du 18 juillet 2023, la Banque africaine de développement (BAD) affirme : « Le Port autonome de Cotonou est un port de transit qui accueille en moyenne 80 à 90 navires commerciaux par mois. Il assure 90 % du commerce international du pays et 49 % de trafic de transit dirigé vers le Niger (37 %), le Burkina Faso (4 %), le Mali (3 %) et le Nigeria (5 %). Il dessert jusqu’à 100 millions de consommateurs. En 2022, le Port de Cotonou a traité 12,5 millions de tonnes de marchandises (5 % de plus qu’en 2021), un chiffre qui devrait atteindre 23 millions de tonnes d’ici 2038 ». Depuis la crise avec le Niger, c’est donc une part importante de clientèle qui échappe au Bénin. En plus, selon la « Balance des paiements et position extérieure globale régionale de l’Uemoa au titre de l’année 2021 » publié par la BCEAO en septembre 2023, « le Mali et le Burkina continuent également d’occuper les première et deuxième places des importateurs intra-communautaires, avec respectivement 43,6% et 19,9% des approvisionnements, contre 40,7% et 20,4% enregistrés un an plus tôt ». Sachant que le Burkina pour ses importations, emprunte plus le Port de Cotonou, on ne doute pas de l’impact de ce divorce sur le PAC. Aussi, le départ des pays de l’AES leur permet-il de s’affranchir de certaines contraintes dont le Tarif extérieur commun (TEC CEDEAO), et ainsi de choisir en toute liberté leurs partenaires et avec qui collaborer. Cela débouchera sur une forte concurrence avec le Togo qui s’est déjà positionné et qui récupère ces pays de l’AES, tout ceci au grand dam de l’économie béninoise. Alors que la répartition des prévisions de recettes brutes des régies (y compris les recettes d’affectation et les exonérations) en 2024 affiche une prévision de 698,9 milliards F Cfa pour la Douane, de réelles menaces planent sur l’atteinte de cet objectif. La situation en cours compromet toute possibilité d’atteinte de ces résultats. Par ricochet, on est en droit de douter des capacités du Bénin de mobiliser le budget 2024 chiffré à 3199,274 milliards f cfa avec des ressources budgétaires attendues à 2 076,0 milliards F Cfa. Par ailleurs, les entreprises béninoises pourraient rencontrer des difficultés à accéder aux marchés de ces pays, si des barrières commerciales telles que les tarifs douaniers ou les quotas sont introduits à la suite de leur retrait de la CEDEAO. Pour les entreprises béninoises qui dépendent des fournisseurs ou des partenaires commerciaux dans les pays de l’AES, le circuit commercial prendra également un coup. La preuve, alors que le Port de Cotonou a relancé le transit de marchandise, les sanctions de la CEDEAO demeurent, pénalisant toute la chaîne économique de part et d’autres.