Pourrait-on assister au début d’un affrontement plus ou moins ouvert entre les autorités nigérianes et Aliko Dangote, l’homme d’affaires le plus prospère du continent ? Suite à la visite d’enquêteurs de l’agence anticorruption à son siège à Lagos la semaine dernière, le groupe Dangote, dirigé par le milliardaire nigérian, a exprimé publiquement son inquiétude quant à un incident visant à lui causer un embarras injustifié.
F.V.
Le 4 janvier, le conglomérat opérant dans le ciment, les engrais, le sucre, la farine, et prochainement les hydrocarbures, a été soumis à une visite de la Commission des délits économiques et financiers (EFCC). Cette enquête s’inscrit dans le cadre d’une investigation plus large visant l’ancien directeur de la Banque centrale du Nigeria, Godwin Emefiele. Accusé de fraude et de mauvaise gestion, Emefiele a été suspendu en juin après l’arrivée au pouvoir du président Bola Tinubu en mai 2023, puis arrêté et placé en détention. Bien qu’il ait été libéré sous caution en décembre, les allégations portent sur son rôle dans la mise en place d’un système de change controversé, limitant l’accès au dollar et favorisant la corruption en permettant à certains privilégiés d’obtenir des devises à des taux préférentiels. Le groupe Dangote, acteur majeur dans cette affaire, fait partie d’une liste de 52 entreprises sommées par l’EFCC de fournir des documents sur leurs transactions de devises depuis 2014. Toutefois, le groupe a souligné qu’aucune accusation formelle n’a été portée contre lui. Le communiqué émis par Dangote précise que ses représentants étaient déjà sur place pour remettre les documents requis lors de la perquisition, et aucun document n’a été saisi. À Lagos, des préoccupations émergent quant aux conséquences potentielles de cette séquence sur les relations entre le gouvernement et Aliko Dangote, l’homme le plus riche d’Afrique, avec une fortune estimée à environ 10,5 milliards de dollars selon Forbes. Certains estiment que cette intervention pourrait non seulement éveiller des soupçons, mais également aggraver la situation économique et décourager les investisseurs. Le ton s’est durci avec des critiques émanant de divers secteurs, dont la fédération patronale du Nigeria, qualifiant l’opération de « perquisition de style Gestapo » et avertissant des répercussions négatives sur l’économie nationale, ainsi que sur la perception des investisseurs.
Economie chancelante
L’épisode survient à un moment critique pour le magnat de l’industrie : sa méga-raffinerie emblématique, située en périphérie de Lagos, est sur le point d’entrer en phase opérationnelle. Évalué à près de 20 milliards de dollars (le double des estimations initiales), ce projet colossal devrait permettre au Nigeria, premier producteur africain de pétrole, de cesser d’importer du carburant. La raffinerie a déjà reçu plusieurs cargaisons de pétrole brut et pourrait commencer les essais dès cette semaine. Inauguré en mai en présence du président sortant Muhammadu Buhari, mais sans la présence de son successeur élu, Bola Tinubu, le complexe représente le sommet de la carrière du milliardaire, dont les activités prospèrent malgré l’instabilité économique du Nigeria. Cependant, ces derniers mois, ce projet phare a été autant sous les feux des projecteurs que sa querelle avec un rival, Abdul Samad Rabiu, le PDG du groupe BUA, le deuxième plus grand producteur de ciment du Nigeria. Dangote accuse Rabiu d’avoir répandu des rumeurs sur des transactions de change frauduleuses dont l’empire Dangote aurait bénéficié. Les démêlés de Dangote avec l’agence anticorruption sont-ils le résultat d’une campagne politique contre un homme d’affaires jusqu’alors réputé proche de tous les présidents nigérians successifs ? Selon l’économiste spécialisé dans les pays émergents, Charlie Robertson, cette enquête ne semble pas être une « chasse aux sorcières » à la Jack Ma, cible des régulateurs chinois, ou à la Mikhaïl Khodorkovsky, ancien PDG russe emprisonné de 2003 à 2013. Robertson estime qu’il n’y a aucune preuve que le gouvernement cherche à évincer Dangote. Cependant, il suggère que cela pourrait être un signal envoyé aux grandes entreprises, indiquant que personne n’est au-dessus de la loi. Il souligne que, pour autant qu’il sache, il n’y avait rien d’illégal dans le fait que la Banque centrale du Nigeria fournisse des dollars américains à bas prix au groupe Dangote.