Du 12 au 15 octobre 2023, la ville de San José en Californie aux Etats-Unis abrite la 14ème édition du Silicon Valley African Film Festival (SVAFF). Chike NWOFFIAH, directeur exécutif du SVAFF lève un coin de voile sur le niveau de préparation de ce rendez-vous du cinéma africain
Pour le Festival du film africain de la Silicon Valley, notre préparation se déroule toute l’année. Nous commençons dès la fin de la précédente et donc pour cette année, nous planifions depuis à peu près un an, nous sommes ravis d’être maintenant à l’ouverture. Nous avons pu élargir notre équipe pour inclure notre directrice des médias Afrique, Christelle Ngaleu, qui nous a rejoint et qui nous ait d’un appui capital, nous avons également, un nouveau directeur des médias sociaux qui s’occupe de toute notre présence sur les réseaux sociaux, nous avons un directeur des opérations et de la logistique et une assistance de soutien. Comme je l’ai dit, c’est un processus tout au long de l’année que nous commençons en mars et puis cela continue jusqu’en juin. Lorsque nous clôturons les commissions, notre comité de sélection se met au travail pour commencer à regarder tous les films et retenir les sélectionnés. Nous avons reçu plus de 3000 films cette édition et nous allons en présenter 94 représentant 38 pays.
Quel est le programme de la cérémonie d’ouverture et du festival ?
Nous sommes très enthousiasmés par ce que nous proposons cette année. Nos cinéastes arrivent généralement le mercredi 11 octobre, puis le jeudi 12 octobre, nous allons les emmener faire une tournée de l’industrie et visiter le siège mondial de YouTube pour qu’ils discutent des moyens potentiels de monétiser sur YouTube et approfondissent le sujet du piratage de monétisation et tout le reste. Nous irons également au siège administratif et au siège social de Netflix où ils y apprendront également plus sur les mécanismes de fonctionnement de Netflix et tout le reste, donc voici le genre d’expériences que nous proposons. Le même jeudi même soir, les leaders noirs et dirigeants noirs dans la Silicon Valley les accueilleront à un dîner de bienvenue communautaire où ils pourront manger, écouter de la musique, resauter et danser avec la communauté afro-américaine. Vendredi matin, vers 9h30 du matin, nous allons organiser une projection spéciale pour les élèves noirs des collèges de la région de la Silicon Valley. Nous le faisons en collaboration avec le comté de Santa Clara, de l’Alliance des éducateurs noirs, qui encadrera environ 200 jeunes étudiants. Ils viendront regarder des films que nous allons sélectionner pour eux. Après avoir fini de regarder les films, ils se regrouperont en petits groupes pour avoir des conversations approfondies sur le film, puis ils reviennent à la séance générale. En fin d’après-midi, ils reviendront pour la cérémonie d’ouverture officielle qui aura lieu le même jour à 17h30 avec un tapis rouge. La cérémonie officielle d’ouverture du festival commencera à 18H30. Elle sera marquée par une parade de drapeau avec les drapeaux de tous les pays présents. Cette année, nous aurons 38 drapeaux. Il y aura des prestations artistiques, la présentation des films en compétition, quelques discours. Ensuite, nous dévoilerons notre long métrage de la soirée d’ouverture. Pour 2023, c’est un beau film de Tanzanie appelé Nakupenda Film et nous allons conclure la nuit de vendredi avec une soirée dansante. Le samedi, nous reviendrons à 10h00 du matin, ou nous allons transformer la cour du grand théâtre historique Hoover à San Jose, en un marché africain. Il y aura beaucoup de vendeurs de vêtements africains, de la nourriture africaine, ce sera un marché comme en Afrique. A 11h00, nous commençons les projections des films, puis à 16h00 nous avons notre programme central de la journée avec l’avant-première du documentaire ‘’on board’’. C’est un film documentaire spécial sur les femmes noires qui siègent aux conseils d’administration des grandes entreprises américaines. Elles parleront du contexte de leur réussite technologique dans la Silicone Valley. La projection du film sera suivie d’une table ronde modérée par Lisa Gauthier, Maire de East Palo Alto et vice-Présidente Principale de Sillicon Valley Leadership Group. Le dimanche 15, nous recommençons à projeter des films, puis également vers 16 heures, nous aurons un défilé de mode africaine mettant en vedette environ sept créateurs des différents pays d’Afrique. Cette année, nous avons un programme incroyable
SVAFF Sillicon Valley Africa film Festival, c’est 94 Films qui sont en compétition dans 5 Catégories. Quels sont les films phares de cette édition ?
C’est difficile de choisir des films spécifiques, car c’est comme demander à un parent lequel de vos enfants est votre préféré. Mais toute fois il y a ce magnifique film Tanzanien NAKUPENDA que nous avons sélectionné comme film de la soirée d’ouverture, c’est une belle histoire d’amour entre deux grands-parents aux cheveux gris tombant. Une histoire d’amour sur deux personnes qui, lorsqu’elles étaient très jeunes, se sont aimés et ne se sont pas oubliés. Ils se sont perdus de vue et des décennies plus tard, étant déjà en âge avancé, ils se sont revus. Le destin les a réunis afin qu’ils revivent leur amour. Le sujet est traité avec beaucoup de délicatesse. Voir ces deux grands-parents tomber amoureux, riant en se tenant la main, c’est très émouvant. L’histoire est très bien racontée ainsi que la cinématographie du langage visuel, l’écriture du scénario. Nous avons un aussi magnifique film du Cameroun, qui a fait son entrée dans les oscars ‘’ the planter plantation ‘’. Il y a beaucoup de beaux films. Le langage cinématographique qui sort du continent africain est très encourageant et je suis ravi que des cinéastes, de jeunes cinéastes, des femmes cinéastes entrent en scène, racontent leurs histoires avec leurs termes.
En tant que Africain, pourquoi avez-vous choisi d’organiser un festival en Amérique?
Je choisis d’organiser un festival en Amérique ? Eh bien, parce que c’est là où je me suis découvert. J’ai été aux Etats-Unis, en particulier, à la Silicon Valley qui, par ailleurs, est une région qui compte de nombreuses de villes. Elle se trouve au Nord de la Californie. La plus grande s’appelle la baie de San Francisco. Donc, la plus grande des villes de l’entière région est San Francisco et nous sommes situés juste au sud de San Francisco, à environ 30 ou 40 minutes en voiture. Et la plus grande ville ici est San Jose, où nous sommes situés. San Jose est la capitale, de la Silicon Valley, région qui a vu naître la technologie, que nous connaissons tous aujourd’hui et où l’on retrouve les sièges de Google, Netflix, Adobe, Nenet, Facebook, et bien d’autres qui sont proches les unes des autres à une distance de marche ou à vélo, ainsi que les célèbres universités de Stanford, de Santa Clara, et de San Estate. En bref, toutes ces grandes écoles et ces grandes entreprises y sont. Elle est aussi une région si magnifique, intéressante et connue internationalement, car les gens viennent de partout dans le monde pour travailler dans la technologie. Mais cette région est aussi très réputée pour sa biotech, et sa recherche pharmaceutique. En bref, tellement de choses se passent dans cette région qu’on appelle la Silicon Valley. Et c’est dans cette vision que je suis venu travailler dans la biotech, mais en grandissant, j’ai toujours été dans le théâtre et le cinéma, même si j’ai été dans une école de commerce, bien sûr, pour mes études universitaires. Et donc, lors de mes études en biotech, j’ai fait face à une sorte d’ignorance, ou juste de malentendu sur l’Afrique, parce que les gens vous posaient des questions si étonnantes que vous vous demandiez « Est-ce qu’ils m’ont vraiment posé cette question ? », «Plaisaient-ils ou non ? » . Mais ça m’est tellement arrivé qu’à de nombreuses reprises, je me suis demandé si les gens étaient juste curieux ou s’ils avaient la mauvaise information. Ils avaient un point de vue disons « Tarzan » de l’Afrique et j’entends par là, qu’ils ont l’image de l’Afrique que vous voyez dans un film comme Tarzan, l’image des gens vivant dans la forêt, et se déplaçant par le biais des arbres. Vous serez surpris que, de nos jours en Amérique, certaines personnes ont toujours cette image de l’Afrique, parce que dans une large mesure, pendant longtemps, notre histoire, ainsi que celle de nos ancêtres africains, ont été racontées dans cette optique, cette optique coloniale, qui semble toujours projeter l’Afrique dans les médias, au grand public, dans les films, à la télévision, dans les journaux, tel un lieu toujours désespéré, plus bas que pauvre, où les enfants sont malheureux. L’Afrique est souvent vue comme toujours en pleurs, désolée et sans bonnes intentions. Et donc, quand certains d’entre nous sommes arrivés ici et avons commencé à rencontrer ces réalités, qui en étaient pour beaucoup de ces autres personnes, mes collègues et moi nous sommes retrouvés dans une situation où nous expliquions constamment ce qu’est réellement l’Afrique. L’Afrique que je connais, pas l’Afrique qu’ils regardent à la télévision ou dans les films. Donc, c’est la genèse de ce Festival de films, car, au cours de ce processus, et puis, quand j’ai commencé ma transition hors de l’ère froide de l’Amérique et que je voulais faire quelque chose qui m’est propre, j’étais aussi, à ce moment-là, en train de l’enseigner dans l’une des universités ici, et je projetais des courts métrages produits par des réalisateurs africains dans ma salle de classe et je montrais à mes élèves les vraies histoires d’Afrique racontées par les Africains. Et beaucoup d’entre eux étaient toujours étonnés de ce qu’ils voyaient, parce qu’ils voyaient une autre Afrique, pas celle qu’ils voyaient à la télévision, mais la vraie Afrique, l’Afrique qui leur ressemblait avec des gens qui leurs ressemblaient, qui vivent, généralement, de la même manière qu’eux, en tombant amoureux et cessant d’aimer, en faisant de même qu’eux. En gros, c’était vraiment une expérience d’ouverture d’esprit pour beaucoup d’entre eux, et à cet instant, j’ai eu l’idée de partager cette expérience avec une communauté plus grande à l’extérieur du campus de l’Université, afin d’exposer plus de gens de la Silicon Valley à cette histoire africaine. Et c’est réellement ainsi que j’ai commencé, la première fois où, pour une demi-journée, j’ai pu obtenir environ 16 films, les écrire, les raconter, en discuter dans des conversations avec la communauté et les personnes présentes. Et tout le monde était vraiment si excité qu’ils ont commencé à se demander quand je pourrais faire ça encore et encore et encore. Tout ceci nous a donc menés à ce que nous appelons aujourd’hui le Festival des Films Africains de la Silicon Valley. 14 ans plus tard, de juste cette demi-journée, un samedi, avec 16 films, environ 7 ou 8 pays, je ne me souviens même pas, on est passé cette année à 94 films de 38 pays. Ce fût un long voyage, mais je n’ai jamais regretté un seul jour, et je suis tellement honoré et c’est humblement que je peux présenter tout ceci à la communauté. Et je suis plus honoré d’avoir une superbe équipe, des frères et sœurs, qui m’ont rejoint au cours de ce voyage. J’ai organisé ça, j’y me suis investi chaque année, et nous le faisons en tant qu’équipe parce que c’est important pour nous de commencer à changer la perception de l’Afrique. C’est important pour nous de présenter une opportunité pour notre communauté de venir voir l’Afrique différemment, de venir entendre l’Afrique différemment, de venir toucher l’Afrique différemment selon la vision de ceux qui possèdent la vraie histoire. Et c’est exactement la raison pour laquelle nous le faisons. Nous l’appelons l’Afrique au travers du regard africain, invitant la communauté à venir et à entendre, voir et ressentir notre histoire telle que racontée par nous et avec nos propres termes.
Comment le 7ème art peut-il relever l’Afrique ?
Oui, il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’une grande partie de notre façon de voir et de faire les choses a été fortement influencée par les images. Il n’est pas surprenant que l’on dise qu’une image vaut mille mots. Et ce que cela signifie réellement se situe dans le contexte d’un cadre d’image. Vous pouvez y lire tellement de contenus. Vous pouvez voir tellement de couches d’émotions, de sentiments, de lumière et toutes ces choses dans un seul cadre photographique. Le pouvoir de l’image est donc palpable. Et nous vivons dans un monde visuel. Et la façon dont nous avons été projetés visuellement en tant qu’Africains dans les peintures, dans les photographies et maintenant dans les images animées, a été tout ce à quoi nous avons réagi. Que nous le sachions intentionnellement, sinon notre monde a été encadré d’images et que ces images se reflètent avec une énergie positive ou une énergie négative, que cela nous plaise ou non, l’image est là, le monde est là. Ce que le monde occidental a très bien fait, c’est d’être capable d’utiliser le pouvoir de l’image pour créer ses propres paradigmes, pour faire évoluer sa propre pensée vers une sorte de croyance d’ordre supérieur selon laquelle il a créé ces images d’eux-mêmes comme un idéal. Mais malheureusement, en raison de leur tendance à exploiter l’Afrique, ils ont également créé pour les Africains une toute autre image à laquelle nous devons également croire. Et malheureusement, nous pensons maintenant que l’image qu’ils ont créée pour nous est la seule vérité sur qui nous sommes. Et c’est une image qui dit que nous sommes inférieurs à eux. Et donc, les anges sont blancs, Dieu est blanc, le diable est noir. Vous savez que les forces obscures utilisent ces termes pour décrire les choses, et lorsque vous vous regardez ensuite dans le miroir, psychologiquement parlant, que vous le sachiez ou non, vous devenez le reflet de ce qui est mal, le diable. Et toute votre vie sur la planète Terre consiste à vous rendre au paradis pour être avec les anges et faire de vous l’ange blanc. Ainsi, l’ange signifie et symbolise désormais l’être d’ordre supérieur. Tout votre sens de l’humanité, votre humanité, votre aspiration, est de devenir blanc quand vous mourez pour que vous deveniez un ange et ainsi alors Jésus, le sauveur est blanc et toutes ces choses, et vous et moi savons que si notre Seigneur et sauveur Jésus-Christ est né dans la région du Moyen-Orient, en Afrique du Nord, et il avait la peau foncée. Et si vous regardez la recherche et la science, et regardez toutes les données historiques et archéologiques sur les gens qui habitaient toute cette partie du monde, comme à l’époque où Jésus travaillait probablement sur la planète, nous sommes même nombreux, beaucoup plus sombre que les gens qui y vivent aujourd’hui. Et même la Bible parle de ses cheveux laineux et bouclés et tout ça. Mais regardez toutes les peintures de l’église, et partout qui nous disent que Jésus est ce petit homme blanc, parfois même blond. Et c’est ainsi qu’ils créent ces images et nous croyons que nous nous inclinons et adorons l’image de Dieu, qui est en réalité l’image d’une personne blanche. Ainsi, lorsque nous parlons de la façon dont le cinéma peut élever l’Afrique, il peut le faire en commençant à remettre en question certaines de ces images. Le cinéma fait cela en s’assurant que lorsque nous projetons l’Afrique, lorsque nous projetons nos propres coutumes, notre langue, lorsque nous projetons notre propre façon d’être et de faire les choses en tant qu’Africains. Que nous le projetons avec dignité afin de ne pas adhérer à la construction occidentale d’une Afrique inférieure. C’est la partie du film. Quand vous voyez quelque chose qui vous ressemble ou quelqu’un qui vous ressemble sur grand écran et qu’ils valident qui vous êtes, ils parlent votre langue à l’écran, ils portent vos vêtements, ils bougent avec dignité et la fierté, cela fait beaucoup pour le psychisme. Cela commence à créer un tout autre sentiment d’estime.
Comment le septième art peut-il tirer l’Afrique vers le haut ?
Le 7ème art appelé cinéma est, et doit être au centre de ce mouvement d’une Afrique autonome qui s’éveille à son véritable héritage de fierté et d’une Afrique qui a une identité et invite le reste du monde à y entrer, son propre espace selon ses propres conditions. Et tel est le pouvoir du cinéma. Nous ne pouvons pas continuer à aspirer à ressembler, à parler comme à agir comme et à nous comporter comme les Blancs parce que c’est ce qui nous a été enseigné à travers les images. Nous devons commencer à redéfinir à quoi ressemble le succès. Le succès ne doit pas nécessairement venir de l’extérieur, envers qui vous agissez comme une personne blanche ou parlez comme une personne blanche. Le succès est intrinsèquement africain. Mais nous devons projeter cela dans le film, nous devons projeter cela dans le cinéma. Nous devons projeter cela au cinéma. Pour que les enfants puissent se voir et être fiers. Vous savez, pour voir un Africain au cinéma, il n’est pas nécessaire que la personne se comporte comme un crétin, sautant d’arbre en arbre. La mentalité du savoir blanc qui persiste est qu’on peut entrer dans un village africain et tuer tous ces courageux guerriers du village parce qu’ils n’ont aucun sens pour comprendre même comment se battre. Ce genre de choses, on peut rire. Mais ce genre de choses nuit au psychisme de l’Africain. Et le cinéma a une chance de commencer à réparer ce tort. Présenter un récit différent, et c’est une Afrique digne.
Le court-métrage « Light » réalisé par le béninois Ineck Dohoué Houngbédji fait partie de la sélection officielle. Quelles sont les chances du Bénin ?
Je sais que c’est un jeune réalisateur. Je suis vraiment fier de ce film. Vous savez pourquoi j’aime la façon dont le sujet est traité. Nous continuons à soutenir les écosystèmes cinématographiques sur tout le continent africain et je veux que ce film soit un exemple de ce qui est possible. Un long chemin à parcourir, mais au moins nous voulons nous assurer que les cinéastes de différentes parties du continent africain sont encouragés à raconter leurs histoires pour réaliser leurs films et Light est l’un des films que j’espère voir gagner. Je voudrais que les cinéastes comprennent qu’être sélectionné, c’est déjà leur victoire. Être sélectionné parmi 3mille films venant de tous les quatre coins du monde est déjà, selon moi, une victoire.