Mise en place le 02 décembre 1941, l’Agence Française de Développement (AFD) a 80 ans. A l’occasion, Rémy Rioux, Directeur Général de l’AFD/Bénin, retrace les fondamentaux qui ont façonné l’agence et parle des perspectives du développement, dans le cadre d’une relation entre la France et ses partenaires en pleine mutation. Interview.
80 ans « du côté des autres » : que dit cette affirmation de l’histoire de l’Agence française de développement, de son évolution ?
Notre histoire, nos actions, nos procédures, notre modèle économique sont du côté des autres. C’est un positionnement et un état d’esprit. Il s’agit, je crois, de notre mission dans l’équipe France. Du côté des autres, c’est être du côté de nos clients, de nos partenaires, des sociétés des pays où nous intervenons. Avec respect, attention, le maximum d’intelligence collective, de telle sorte que l’on crée une relation de confiance, solide, partenariale, de long terme. Et que les résultats de notre travail commun soient les plus forts possible. Nous œuvrons chaque jour pour établir ce lien de confiance, d’ambition et d’action, qui est l’essence du travail du développement. Il faut « connecter » avec les autres, et, par ce décentrement, ce passage par l’autre, se transformer soi-même et en tant qu’institution.
Notre anniversaire est une belle occasion de réfléchir à ce que nous sommes et ce que nos anciens ont bâti. Et aussi aux 80 années à venir qui seront décisives. Refaire de la prospective, de la planification, penser après-demain. Cela fait aussi partie de nos missions, avec les mille projets que nous accompagnons chaque année. Avec l’entrée d’Expertise France dans le groupe AFD le 1er janvier prochain, nous allons combiner plus fortement encore projets et appui aux politiques publiques au service de trajectoires accélérées de développement durable.
Quel est l’ADN de l’Agence française de développement ?
L’AFD est une maison technique, modeste, qui regorge d’expertises et de talents divers et variés, et dont le professionnalisme et le sérieux sont reconnus par tous. Une maison tenant les engagements qui lui sont fixés. Après une longue histoire qui l’a construite par sédimentations successives. Il y a eu cinq AFD, portant cinq noms successifs. Celle de la Résistance, de la France libre, en 1941, qui n’était pas l’instrument financier de la colonisation. Celle de 1944, sous le nom de Caisse centrale de la France d’Outre-mer, la première à investir hors de l’hexagone. En 1958, c’est la Caisse centrale de coopération économique, pour accompagner les Indépendances, avec un très grand directeur général, André Postel-Vinay, qui instaure une culture très forte de respect et de rigueur dans la gestion, contre « l’affairisme ». Vient 1992, l’année du sommet de Rio, le moment où la préoccupation du développement durable naît – nous prenons alors le nom de Caisse française de développement. En 1998 c’est le tournant de la mondialisation, dans laquelle s’inscrit la nouvelle Agence française de développement.
Un nom qui devrait évoluer à son tour…
En effet, l’idée d’un nouveau changement de nom de l’AFD est apparue lors des débats qui ont eu lieu avec le président de la République au Sommet Afrique-France de Montpellier du 8 octobre. Ce nouveau nom doit être le marqueur, l’accélérateur d’une nouvelle donne, au-delà de l’aide publique au développement. Tout le monde sent que le cadre et les règles fixés avec les indépendances, reflet de la forme de nos relations avec le reste du monde, ne correspondent plus exactement à la réalité géopolitique, climatique, économique et sociale du monde actuel. Comme un costume qui n’est plus parfaitement ajusté à ce que nous sommes devenus.
Les termes mêmes du secteur du développement, au sens sémantique, ne doivent-ils pas évoluer ?
Oui, certaines terminologies aujourd’hui nous gênent. La « lutte contre la pauvreté », par exemple. Je m’entretenais récemment avec le ministre tchadien de l’Économie qui me disait « De grâce, cessez de parler de lutte contre la pauvreté ; parlez plutôt économie, opportunités, innovations, création d’emplois, etc. ». Le terme d’« aide », que je n’emploie du reste plus, est sans doute le plus contesté. Tout notre lexique est devenu décalé, sans que nous ayons encore adopté de nouveaux termes. C’est passionnant et il faut à présent engager un vaste travail d’élucidation, en interne et en externe, qui doit créer un effet d’entraînement bien au-delà de l’AFD, dans le monde du financement du développement. Ce n’est pas simple car nous sommes légitimement fiers des résultats obtenus depuis une soixantaine d’années. Mais c’est indispensable pour ouvrir de nouvelles perspectives, bâtir de nouvelles coalitions et obtenir plus d’impact.
Des changements sont-ils déjà en cours depuis la remise du rapport très attendu d’Achille Mbembe au président Macron début octobre, et le Sommet Afrique-France organisé à Montpellier dans la foulée ?
Le Sommet de Montpellier a été une étape essentielle, et perçue comme telle, après l’impulsion donnée par le président de la République avec son discours de Ouagadougou fin novembre 2017. L’action est déjà bien lancée avec une priorité croissante donnée à la jeunesse dans notre politique de développement, l’initiative Choose Africa (l’offre de notre filiale Proparco pour les PME africaines), notre réaction rapide à la crise Covid en Afrique, ou encore le financement de la restitution des œuvres dérobées par le colonel Dodds au Palais d’Abomey, au Bénin. Le Nouveau Sommet Afrique-France est venu faire le point sur toutes ces actions et leur donner un cadre commun et une nouvelle impulsion. Un nouvel espace s’est ouvert, dans lequel Achille Mbembe et les onze « pépites » présentes à Montpellier sont pleinement impliqués.
Il faut écouter et entendre la parole neuve et précieuse qui s’est exprimée à Montpellier. Il revient ensuite à l’AFD de faire des propositions pour mettre en œuvre cette nouvelle orientation de notre politique de développement, comme redéfinie dans la loi de programmation sur le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales votée à l’unanimité le 4 août 2021.
Le temps du développement va-t-il assez vite pour répondre aux envies de changements, de redéfinition des liens entre la France et ses partenaires ?
Nous ne sommes pas bien sûr dans le temps de l’humanitaire et de l’urgence. Le développement est un processus plus long et complexe de responsabilisation, d’éducation, de renforcement des compétences et des légitimités. La politique de développement prétend agir sur les structures sociales, environnementales, climatiques. Mais cette préoccupation du long terme ne conduit pas à reporter sine die ce qui peut et doit être fait tout de suite !
Le développement agit à court et moyen termes pour faire advenir et accélérer des transformations de long terme. C’est le long terme dans le court terme, en somme. Pour le changement climatique par exemple, il faut agir vite, bien avant que l’urgence et ses phénomènes extrêmes ne se manifestent à plus grande échelle.
Plus globalement, ce monde du développement et de la solidarité, dans 80 ans, comment le voyez-vous ?
Je le vois en commun ! Un monde de respect et de partenariat, au sens où les communautés politiques légitimes, celles que les peuples se seront choisies librement, seront capables d’exercer leur souveraineté et de la combiner avec les autres, dans un monde en interaction constante. On le voit avec la crise du Covid-19 : chaque communauté doit prendre soin des siens, mais il faut aussi de l’action internationale, et d’abord avec ses voisins, comme entre l’Europe et l’Afrique. Comment pense-t-on ces nouveaux liens entre le national et l’international ? L’initiative Finance en commun qui rassemble les 530 banques publiques de développement, à l’initiative du club IDFC que préside l’AFD, est un exemple de ces nouvelles solidarités en train de naître, à mesure que nos grandes questions communes prennent le pas sur nos querelles. C’est ce type d’initiative qui doit nous rendre optimistes pour l’avenir !
Source : AFD