A fin janvier 2020, plusieurs acteurs de l’industrie béninoise du cajou s’accordaient sur la nécessité de réorganiser le secteur afin de créer plus de valeur ajoutée. Et pour cause, un secteur mal-en-point marqué par des tonnes de production invendue et des transformateurs ayant roulé à perte. A ce jour, quelles sont les réformes opérées pour réorganiser la filière ? Les acteurs pourront-ils espérer à l’horizon un secteur épanoui ? Edouard Assogba, président de l’Interprofession de la filière anacarde du Bénin (IFA), fait un point des progrès et réformes avec votre quotidien l’économiste.
L’Economiste : Comment se porte la filière cajou au Bénin ?
Edouard Assogba : La filière cajou se porte bien. Elle se porte bien dans la mesure où les acteurs qui sont au nombre de 4 à savoir, la Fédération national des producteurs d’anacarde du Bénin (FENAPAB), le Conseil national des transformateurs du Bénin (CNTB), le Conseil national des exportateurs de cajou (CONEC), la Fédération nationale des acheteurs des produits agricoles et tropicaux (FENAPAt), se sont mis ensemble pour travailler à l’organisation même de la filière. Si je dis que la filière même se porte bien, c’est parce que l’Etat même a engagé de grandes réformes, des initiatives inédites. La première initiative, c’est la mise en place par décret des pôles de développement agricole. Pour l’anacarde, c’est le pôle 4. L’agence territoriale de développement agricole pour le pôle 4, est dédiée spécifiquement à l’anacarde et travaille très activement avec la FENAPAB sur les itinéraires techniques agricoles pour accroitre la production telle que, le Programme d’actions du gouvernement (PAG) l’a prescrit. Et donc de grandes actions sont en train d’être menées au niveau de la production car, sans la production, il n’y a pas marche. C’est la toute première grande initiative qu’il faut saluer. La deuxième, ce sont les réformes qui sont introduites à partir du ministère de l’industrie et du commerce qui envisage un certain nombre d’assainissement du cadre ou circuit de commercialisation. Dès que l’alerte est donnée pour que ces réformes démarrent déjà à partir de la nouvelle saison, l’interprofession avec ses familles d’acteurs se sont employés à faire une grande campagne de sensibilisation pour informer les différents acteurs mais aussi, les populations qui côtoient ce produit important, c’est-à-dire la noix de cajou. Nous avons commencé la campagne de sensibilisation à Dgougou, ensuite nous sommes allés à Parakou, puis à Savalou, à Kétou et on a bouclé à Allada pour matérialiser la décision de délocalisation du comptoir d’achat de la zone d’Akpakpa vers Allada. Voilà donc les deux grandes initiatives qui nous permettent de restructurer un peu la façon dont la commercialisation s’effectue. Désormais les exportateurs auront un agrément et les industriels aussi auront l’agrément et seront associés à des acheteurs. Ces acheteurs vont déclarer leurs collecteurs et on saura qui est qui sur le terrain et qui opère pour éviter ou pour prévenir que tout venant comme commerçant puisse s’investir dans le secteur pour embrouiller et pour empêcher la quiétude de ceux qui sont vraiment officiellement engagés et qui ont les documents approuvés par l’Etat pour faire le commerce des produits de l’anacarde. Avec ses éléments là, vous voyez vous-même que le secteur se porte bien.
Depuis peu, les transformateurs ont commencé par se plaindre d’une mal organisation au niveau de la commercialisation. Qu’en dites-vous ?
Essentiellement c’est de l’approvisionnement qu’il s’agit. Les transformateurs ont besoin de matière pour opérer. Il se fait que très souvent par le passé, les prix galopent et par rapport à leur seuil de rentabilité, il n’arrivait pas à s’approvisionner. Ce qui fait que les usines n’arrivent plus à tourner à plein temps. Ceux qui prennent le risque d’acheter la matière première à coût élevé sont confrontés dans la concurrence et finissent par faire des pertes énormes. Le cas de Fludor Sa par exemple qui a fait des pertes pendant deux campagnes. Heureusement que le gouvernement en a décidé autrement pour leur permettre de s’approvisionner. Désormais le circuit d’approvisionnement des unités de transformation est officiellement restreint par le ministère de l’industrie et du commerce. Et donc désormais les acheteurs vont approvisionner les usines sur la base des besoins exprimés pour satisfaire les besoins pour lesquels il y a de financement. Mais aussi, les besoins pour lesquels il n’y a pas de financement il faut trouver des voies et moyens pour fournir les produits aux usines. Ça fait partir des séries de réformes qui sont engagées et que nous accompagnons au niveau de l’interprofession.
Quelles sont les stratégies du gouvernement pour favoriser l’approvisionnement des transformateurs locaux ?
Cette stratégie c’est que l’Etat après avoir écouté l’interprofession et les familles d’acteurs, a pris la salutaire décision de faire approvisionner les usines par les acheteurs qui sont directement au contact du produit. Les producteurs sont censés être autour des magasins pour faire fonctionner les marchés autogérés. C’est l’acheteur qui est un peu rapproché des transformateurs qui peut opérer au niveau des contrés et, approvisionner les usines. Cela dit, les usines vont acheter les produits au prix du marché (le prix planché, fixé par le gouvernement avec la contribution des acteurs).
Par rapport aux ventes clandestines qui se font sur le terrain, quels sont les garde-fous pour régulariser les choses ?
Il y a des garde-fous qui sont en train d’être pris parce qu’il y aura des postes de contrôle opérationnel. Nous faisons tout ça avec le soutien du ministère du commerce. C’est vrai qu’on n’a pas totalement bouclé ce dossier mais, ce sera effectif au cours de la campagne. Les postes de contrôle sont déjà connus et donc on peut travailler à les opérationnaliser. Nous sommes en pleine réflexion approfondie sur la vente groupée telle que cela se fait maintenant pour en sortir un nouveau mode opératoire. De façon consensuel avec toutes les familles d’acteurs, nous allons valider ce mode opératoire qui sera mis en œuvre lors de la campagne actuelle à titre pilote, pour qu’au terme de la campagne, on puisse évaluer et réorganiser les choses.
La communauté du cajou au Bénin a organisé récemment le ‘’Bénin Cashew day’’. Que peut-on retenir comme impact de cette rencontre sur le développement de la filière?
Le ‘’Bénin Cashew day’’ est un grand événement. C’est la première fois qu’on a organisé une telle activité au Bénin. C’est après cette journée là que les réflexions pour les réformes ont été déclenchées. Les deux ministres de l’agriculture et du commerce que je voudrais sincèrement et respectueusement saluer ont passé de bout en bout tout le temps que l’événement a duré avec nous. Ils ont écouté les acteurs un à un. Ils ont posé des questions et sont rentrés dans le vif même de la problématique d’organisation de la filière. Les représentants du Nigéria et de la Côte d’Ivoire ont expliqué la situation chez eux et comment les réformes ont été engagées là-bas, et les ministres après réflexion, ont demandé qu’on commence par un bout. On ne peut pas tout faire tout de suite mais, on a commencé par assainir le visage de la commercialisation et je crois que c’est un bon début. Le ministre de l’agriculture de l’élevage et de la pêche et madame la ministre de l’industrie et du commerce se sont déplacés pour des missions hors du pays pour voir comment la vente groupée s’organise dans ces pays. Nous allons capitaliser tout ça là pour faire un bon mode opératoire en fonction de nos réalités, ici afin de l’expérimenter.
Quel est le rôle de l’IFA dans cette chaine d’actions et de réformes ?
L’IFA assure seulement le rôle de coordination. L’IFA ne remplace pas les familles d’acteurs. L’interprofession joue le rôle transversal. Les aspects techniques que ces familles ne peuvent pas porter mais qui pourront positivement impactés le secteur, c’est à cela que l’IFA s’accorde. L’un des principes clés de l’interprofession, c’est la subsidiarité qui suppose que l’IFA contractualise avec les familles d’acteurs afin d’être plus efficace.
Votre mot de la fin !
Mon souhait c’est que tous les acteurs se mettent ensemble autour de l’IFA pour qu’on puisse réussir les réformes engagées ne serait-ce que pour obtenir quelques résultats positifs. Ainsi, l’année prochaine nous pourront enregistrer de grands succès. C’est dans cet objectif que bien que nous n’ayons pas beaucoup de temps, nous nous employons pour réussir très vite les réformes engagées. Je crois que l’un des aspects importants, c’est la délocalisation du comptoir d’achat à Allada. Je lance un appel à tous les acteurs pour que nous puissions nous organiser autour de cette grande décision.
Interview réalisée par Félicienne HOUESSOU