L’Institut national de la statistique et de l’analyse économique (Insae) a rendu public un rapport portant sur les impacts socio-économiques de la Covid-19 au Bénin. Se basant sur les résultats d’une enquête diligentée, ce dernier renseigne, à travers ledit rapport, sur les divers sorts subis par les entreprises béninoises sur les plans de la demande de facteurs de production et de la gestion-organisation.
Falco VIGNON

Le rapport de l’Insae renseigne que 40% des entreprises béninoises se sont montrées vulnérables face aux conséquences de la crise sanitaire de la Covid-19. A en croire, l’institut spécialisé dans les enquêtes au Bénin, les entreprises formelles ont été affectées sur le plan de la gestion-organisation à hauteur de 66,1 %. Toutefois, les entreprises installées à l’intérieur du cordon sanitaire ont été moins vulnérables avec 44,4% que celles installées à l’extérieur car 57,7% se sont montrées fragiles et seulement 41,0% des Unités de productions informelles (OPI). De même, l’Insae a renseigné que le secteur d’activités le plus touché au Bénin a été le secteur hébergement et restauration avec 75,0% des entreprises formelles et 49,5% des entreprises informelles enquêtées.
En ce qui concerne la dimension demande des facteurs, 66,1% des entreprises formelles et 64,1% des UPI ont déclaré avoir traversé des difficultés. Ces dernières ont été plus remarquées au niveau de plusieurs secteurs dont l’industrie avec 72% des entreprises formelles et 67,9% des UPI ; la construction avec 71,4% des entreprises formelles et 67,5% des UPI ; hébergement et restauration avec 75,0% des entreprises formelles et 62,1% des UPI et le commerce avec 77,8 % des entreprises formelles et 60,8% des UPI.
Sur le plan de la finance et la trésorerie, 59,7% des entreprises formelles ont connu des difficultés contre 59,3% des entreprises informelles soit six unités de production sur dix.
« La richesse nationale provient du secteur informel avec 80% d’emplois et 65% du PIB », dixit John Igué
Les résultats des enquêtes menées par l’Insae montrent que le secteur informel béninois s’est montré plus solide que celui formel pendant la crise de la Covid-19. Invité sur le Club de l’économiste du jeudi 31 octobre 2019, l’ex ministre, professeur agrégé de géographie à la retraite et directeur scientifique du Laboratoire d’analyse régionale et d’expertise sociale (Lares), John O. Igué s’était appesanti, entre autres sujets, sur la place du secteur informel dans l’économie béninoise. Avec quelques extraits tirés des propos tenus il y a plus d’un an par l’illustre universitaire béninois, nous vous proposons de découvrir à nouveau ou de découvrir tout simplement la structuration de l’économie béninoise et le rôle que l’informel y joue.
Le Club de l’économiste : Comment est structuré le secteur privé béninois ?
John Igué : Pour gérer l’économie, il avait été quelques sociétés de traite à l’époque comme la BIAO. Ces dernières avaient la main mise sur le pays et parmi ces sociétés de traite, la majorité était d’origine européenne et avait pour intermédiaires quelques traitants libanais. A ces traitants libanais, il y avait quelques traitants béninois qui étaient associés et qui s’occupaient de la collecte de l’huile de palme et des noix de cajou. Ce secteur était un secteur privé qui utilisait la population coloniale jusqu’à ce qu’on en arrive à la révolution de 1972. Avant cette révolution il s’est passé un élément important ici, dans notre voisinage : c’est la crise de sécession au Nigéria, qu’on a appelé la guerre de Biafra. Pendant cette crise de sécession, l’économie du Nigéria avait beaucoup de problèmes. Et beaucoup d’opérateurs économiques nigérians qui ne pouvaient plus faire de bonnes affaires se sont dirigés vers le Bénin pour nous proposer d’autres activités. Parmi ces activités, la plus importante est celle du commerce du cacao. C’est à partir de ce commerce de cacao, qu’a émergé le secteur privé national. C’est avec ce commerce du cacao que les béninois ont eu accès à de grandes fortunes et en moins de 5 ans, ce secteur a rapporté à ces commerçants des milliards. Puis, pour conforter cette position, la révolution a fait des réformes qui sont allées dans le sens de la promotion du secteur privé national. Ces réformes portent essentiellement sur la nationalisation des banques comme la BIAO dont je vous ai parlée. Le siège de Bank of Africa, qui est en face du port, c’était le siège de la BIAO. Donc, l’Etat a nationalisé les banques étrangères et a renversé l’ordre d’accès aux crédits. Avant, c’était seules les anciennes sociétés de traite dont j’ai parlée qui avaient accès aux crédits bancaires. Quand la révolution est arrivée, elle a renversé cela et seuls les nationaux étaient prioritaires dans l’accès aux crédits des banques nationalisées par l’Etat et cela a permis donc à plusieurs commerçants béninois d’émerger. C’est comme ça que les nationaux ont commencé à émerger. Donc c’est comme ça que le secteur privé est constitué. Et ce secteur privé national a eu un relais important qui est constitué des femmes qui sont sur les marchés périodiques notamment Dantokpa. Ce sont ces femmes qui se chargeaient de distribuer les produits que ces commerçants importaient des marchés étrangers. Et c’est cela qui a donné un tonus au marché Dantokpa.
Aujourd’hui, si on fait la philosophie du secteur privé béninois, il comporte ces deux aspects là : les nationaux qui sont fortement dominés par les hommes et les femmes qui opèrent à partir de nos marchés notamment le marché Dantokpa. Ce marché Dantokpa est devenu le centre de promotion du secteur privé national parce qu’au plus fort de l’économie béninoise, ce marché faisait un chiffre d’affaires de près de 500 milliards par an. Ce qui est beaucoup pour un petit pays comme ça. Et de ces activités, beaucoup d’hommes ont émergé. Parmi ces hommes vous avez les yoruba et les femmes.
A ce secteur privé d’origine nationale, composé des yorouba de Porto-Novo et de la région du Plateau, se sont greffés les activités du secteur étranger. Ce dernier a beaucoup changé. Les anciennes maisons de traite ont fermé parce qu’elles n’ont pas pu supporter la concurrence et surtout la modification de crédit instaurées par la révolution. Beaucoup ont fermé et les européens sont partis et ont vendu le fonds de leurs commerces à des étrangers comme les arabes, les libano-syriens, et les gens du Magreb. Puis, après ces arabes, les crises qui ont secoué le Ghana et le Nigéria ont fait venir ici beaucoup d’indo-pakistanais, qui sont venus s’ajouter aux libano-syriens vers les années 1970. Puis, après, avec la crise du Nigéria, les ‘’Ibo’’ sont arrivés massivement. Et ce sont les libanais et les indo-pakistanais qui constituent le secteur privé étranger aujourd’hui. Tous exercent dans le secteur du transport. Puis aujourd’hui les chinois sont arrivés et les turcs aussi. Donc, c’est l’essentiel du secteur privé. Tous se sont regroupés aujourd’hui autour de trois structures qui gèrent le secteur privé béninois. La première, c’est la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin (CCIB), la deuxième, c’est le Conseil des investisseurs privés du Bénin (CIPB) et la troisième structure est le Conseil national du patronat du Bénin. Tous sont dans ces trois structures et les animent. Mais le Conseil des investisseurs privés du Bénin qu’on appelle CIPB est dirigé par monsieur Roland Riboux et est composé de 42 entrepreneurs privés qui ont investi dans le pays plus d’un milliard FCFA. C’est parmi eux qu’on trouve aujourd’hui quelques industriels comme la brasserie la béninoise, comme les fabricants de ciment qui sont actuellement au nombre de quatre et les fabricants de fer à béton, ainsi de suite. Voilà comment le secteur privé est composé. C’est eux qui animent la vie économique aujourd’hui. Entre le secteur privé national et étranger, il y a des rapports mais tous pour la plupart sont dans les secteurs formel et informel à la fois.
Quelle est la contribution du secteur privé à l’économie béninoise ?
Depuis qu’on a fait la conférence nationale et qu’on a déclaré l’économie libérale, c’est eux qui gèrent la super structure économique. Par exemple, le Conseil des investisseurs privés du Bénin au cours de l’une de leur réunion a dit qu’ils ont investi dans le pays plus de 250 milliards FCFA ces dernières années et a créé plus de 10.000 emplois et rapporte à l’Etat, un bénéfice de près de 80 milliards FCFA. Il y a de cela deux ans au cours d’une de leur réunion. Donc c’est le CIPB qui constitue le fer de lance de l’économie béninoise en raison de l’importance de leurs investissements. C’est au niveau officiel ça. Certains ce sont organisés autour du Conseil national du patronat et d’autres sont à la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin. Ce sont les mêmes individus qu’on retrouve dans ces structures. Ces gens dont je vous ai parlés qui sont organisés autour du CIPB et autour du patronat béninois structurent l’économie nationale au niveau officiel. Mais leurs activités touchent le secteur informel. Par contre, la majorité des autres dont je vous ai parlés, les entrepreneurs béninois, les indo-pakistanais, les Ibo, les turcs et les chinois, tous opèrent davantage dans le secteur informel et dans le secteur formel. Et c’est eux qui sont les grands animateurs de l’économie informelle. J’en ai parlé dans mon livre, il y a un chapitre sur ça. Si vous lisez, vous allez voir tout ça dedans. Mais du point de vue de la dynamique de l’économie au niveau national, c’est le secteur privé qui assure l’essentiel. Il produit plus de 80% d’emplois et plus de 65% du PIB national. Donc la richesse provient du secteur informel et la sécurité nationale provient du secteur informel avec 80% d’emplois et 65% du PIB. Donc le secteur formel comme je vous l’ai dit est toujours un secteur de dépendance.
Dans ce que je vous ai dit, j’ai oublié de mentionner les opérateurs des réseaux GSM qui sont venus tout récemment comme MTN et Moov que vous connaissez. Tous font partie aujourd’hui de cet ensemble de gens qui opèrent dans le pays et engrangent des bénéfices assez importants. Mais l’inconvénient de ce secteur informel comme je l’ai dit, c’est que ceux qui font de l’argent, une partie des profits qu’il trouve dans leurs activités n’est pas investi dans le pays. Donc, on ne sait pas où est-ce qu’ils investissent. C’est alors le secteur informel qui laisse son argent dans le pays. Par exemple dans le secteur du kpayo, le bénéfice annuel, c’est plus de 40 milliards FCFA. Et ces 40 milliards FCFA sont totalement investis dans le pays. Le secteur des zémidjans, c’est dans l’ordre de 35 milliards FCFA. Et ces 35 milliards sont totalement investis dans le pays. Les femmes qui sont à Dantokpa, la plupart investit dans le pays. Donc, voilà la situation dans le pays. La circulation de l’argent dans le pays est assurée en de très grandes parties par le secteur informel.